Lundi 14 octobre 2024
A l’occasion de la célébration du 90ème anniversaire de son ouverture le 21 juin 1934, le Musée Marmottan Monet consacre une exposition à l’art du trompe-l’oeil.
« Le trompe-l’oeil de 1520 à nos jours »offre aux visiteurs d’admirer plus de 80 œuvres, dont certaines n’ont été que rarement présentées au public et d’autres, complètement inédites. On retrace ici l’évolution du genre pictural cité plus haut, du XVIème siècle à nos jours, de son âge d’or à sa persistance au fil des époques, de l’enthousiasme du public prenant un malin plaisir à tomber dans le piège de l’illusion jusqu’ sa récente réappropriation par une nouvelle vague d’artistes. Une exposition présentée jusqu’au 2 mars 2025, qui s’achève avec humour puisqu’elle traite, en fin de parcours, de l’art de « tromper l’ennemi ».
Ce serait Louis Léopold Boilly qui aurait employé le terme trompe-l’oeil pour la première fois, en légende d’une œuvre exposée au Salon de 1800. Ce terme ne sera adopté que 35 années plus tard par l’Académie française. Des recherches plus poussées attribueraient ce terme à un récit bien plus ancien, celui de Pline l’Ancien (c.23-79 après J. C) qui évoque dans son Histoire naturelle comment le peintre Zeuxis, lors d’une compétition l’opposant au peintre Parrhasios, avait représenté des raisins si parfaits que les oiseaux vinrent voleter autour.
Au fil des siècles, le trompe-l’oeil se révèle pluriel, joue avec le regard du spectateur et constitue un clin d’oeil aux pièges tendus par nos propres perceptions. Et loin de s’arrêter à certains termes du trompe-l’oeil (trophées de chasse, les vanités, les porte-lettres ou les grisailles), l’exposition en aborde d’autres aspects comme les déclinaisons décoratives (mobilier, faïences...ou la portée politique de genre pictural au temps des Révolutionnaires jusqu’aux versions actuelles.
Louis Léopold Boilly,Henri Cadiou, Jean- François de Le Motte, Pierre Roy.... sont quelques-uns des maîtres réunis pour célébrer l’intérêt des artistes pour cet art de l’illusion. Notons par ailleurs, qu’à l’occasion de cet événement, sept œuvres du musée, ont été restaurées et occupent une place de choix dans cette exposition dont les neuf sections du parcours chronologique illustrent la pluralité des sensibilités et des représentations du trompe-l’oeil et son évolution au fil du temps.
Peut-on vraiment leurrer un spectateur au moyen d’une penture, forcément bidimensionnelle au point de lui faire croire que ce qu’il voit est une réalité tridimensionnelle ?
Plus modestement, l’exposition souhaite témoigner de l’histoire de la représentation de l’illusion de la réalité à travers un parcours de visite varié et didactique :
Le XVIIème siècle : genèse et âge d’or du trompe-l’oeil
L’Antiquité considère la peinture comme le moyen privilégié de se représenter (mimêsis) ou d’imiter la nature.Si la période médiévale ne se préoccupera pas (ou peu) des jeux d’optique de ce nouvel art, les choses évolueront différemment à la Renaissance. En effet,les recherches de certains artistes sur la perspective conduiront ces derniers à concevoir de vrais décors en trompe-l’oeil à l’exemple de la marqueterie d’armoires feintes du Studiolo du palais ducal d’Urbin. Dès le début du XVIème siècle, collectionneurs et amateurs jettent leur dévolu sur ces tableaux de chevalet, dont la figuration illusionniste d’objets du quotidien est devenue le sujet principal.
Les recherches sur la perspective menées par les artistes atteignent leur apogée aux Pays-Bas, au siècle suivant. Ainsi Cornelis Norbert Gijsbrechts, peintre de la cour de Copenhague au service des rois Frédéric III et Christian V, tous deux amateurs de cabinets de curiosités, conçoit pour eux des trompe-l’oeil d’une telle virtuosité que ce genre dit mineur atteignit un niveau de perfection et d’ingéniosité sans précédent.
Du XVIIème au XVIIIème siècle : du trophée au quodlibet
Au tournant de ces deux siècles, les natures mortes s’imposent et les intérieurs aisés sont ornés de trophées et de quodlibets. Gibiers et volatiles sont les plus représentés dans les portraits en trophées de chasse et leur nombre de commandes explose. Louis XV fera ainsi appel au peintre Jean-Baptiste Oudry pour immortaliser ses exploits lors des chasses à courre. L’oeuvre dépeint non seulement l’exploit mais porte le nom du propriétaire et la maison où le tableau sera exposé.
Quant au quodlibet, qui peut se traduire par «ce qu’il vous plait », il met en scène un désordre savamment organisé. L’oeuvre consiste alors en quelques planches de sapin sur lesquelles sont fixés des rubans ou des lanières et entre lesquelles lettres, dessins, gravures et menus objets sont retenus par des rubans. Un quodlibet réussi étant le fruit de la virtuosité de l’artiste, mais également de son imagination dans la mesure où l’artiste pouvait cacher des messages plus ou moins explicites (sous forme de rébus)selon son destinataire, que le spectateur se plait à déchiffrer. En fait ces quodlibets évoquent souvent une pensée moralisatrice, le temps qui passe et la précarité des objets et de la vie.
XVIIIème siècle : peinture illusionniste
Des artistes (Gaspard Gresly, Dominique Doncre, Louis Léopold Boilly...) qui se contentaient de travaux préparatoires à un tableau le siècle précédent, se lancent cette fois dans la réalisation d’éléments voire d’une composition entière en noir et blanc ou en grisaille. Les grisailles sont particulièrement réussie à l’imitation de la gravure.
Architecture et trompe-l’oeil
La peinture en trompe-l’oeil ne signifie pas uniquement la peinture de chevalet. Elle peut aussi former un élément de décor architecturé, intégré d’intérieurs d’une société aristocratique. Le peintre Dominique Doncre est aussi spécialiste du trompe-l’oeil et de la grisaille. Lui qui fera l’essentiel de sa carrière à Arras est d’ailleurs l’un des artistes les plus représentatifs du genre.
Des fouilles archéologiques sur les sites d’Herculanum qui ont démarré en 1738 puis celles de Pompéi (dix années plus tard) créent un engouement renouvelé en faveur de l’Antiquité.
Arts décoratifs et céramique
Le XVIIIème siècle qui est dominé par cette volonté de créer l’illusion va s’intéresser à la céramique en trompe-l’oeil, au service d’objets utilitaires. La production des Della Robbia et de leurs suiveurs est d’abord concernée, puis l’apparition de nouvelles techniques (dont celle de la porcelaine dure) autorisent la fabrication de nouvelles vaisselles : soupières en forme de chou, de salades, de courges, d’assiettes garnies de fruits et de légumes ou de terrines animalières décorent les tables d’apparat, aux côtés d’une vaisselle plus conventionnelle.
Le trompe-l’oeil gagne alors en autonomie au milieu du XVIIIème, et se fait connaître en Allemagne (Meissen), puis dans le reste de l’Europe, dont la France. Le phénomène s’estompe au XIXème siècle, pour reprendre au XXème siècle grâce au renouvellement de la tradition du trompe-l’oeil dans les arts décoratifs.
Le XIXème siècle et le renouveau de l’école du trompe-l’oeil aux Etats-Unis
Au moment de la Révolution française, le trompe-l’oeil s’impose comme un support pictural à visée politique, avant de gagner en popularité sous le Premier Empire, jusqu’à devenir un succès commercial grâce à des artistes comme Louis Léopold Boilly. C’est en effet lors du Salon de 1800 que l’artiste donne le nom de Trompe-l’oeil à l’une de ses œuvres. Le tableau en question mêle dérision de l’artiste et illusion traditionnelle, ce qui amuse beaucoup le public pris au piège mais laisse indifférente une critique plutôt méprisante à l’égard d’une composition de genre dit mineur.
Cet art de l’illusion connait alors sa traversée du désert durant la seconde moitié du XIXème siècle, avant de renaître aux Etats-Unis, sous le nom de « seconde école » de Philadelphie. Cette école d’un genre nouveau sera incarnée par des artistes comme William Harnett, John Frederick Peto ou John Haberle, des peintres réinterprétant de façon moderne la tradition du Trompe-l’oeil en utilisant des objets quotidiens et contemporains américains mêlant aspect décoratif et réalisme accru.
Trompe-l’oeil et réalité
En 1911-1912, Georges Braque et Pablo Picasso s’interrogent sur la relation entre peinture et réel, à travers un nouveau type de représentation appelé cubisme. Et des artistes d’un genre nouveau de s’amuser à faire du monde des objets un support onirique (en inversant l’échelle des objets du quotidien). Un renversement des valeurs qui tend à mettre à l’aise le spectateur.
Un regain d’intérêt pour le Trompe-l’oeil se fait jour chez les artistes et le public d’après-guerre, avec, en 1960, l’exposition d’oeuvres picturales de cet art par un groupe des peintres de la réalité, au Salon Comparaisons. Ce groupe est alors conduit par Henri Cadiou, auquel Jacques Poirier et Pierre Ducordeau se rallieront pour fonder le groupe « Trompe-l’oeil/Réalité ».
Les illusionnistes de la réalité
En 1960, apparaît en Italie un mouvement avant-gardiste, l’Arte Povera,qui fait preuve d’une certaine défiance à l’égard de la société de consommation et privilégie l’utilisation de matériaux naturels et de récupération pour produire des œuvres. Ses représentants sont Michelangelo Pistoletto et Giuseppe Penone...
Pour achever le parcours de la visite, le visiteur découvre une dernière section : Tromper l’adversaire , ou l’art du camouflage, une manière originale de clore une exposition consacrée au trompe-l’oeil, mais pas dénuée d’intérêt.
On apprend ainsi que l’on doit la fondation du musée historique de l’Armée (ancêtre de l’actuel musée de l’Armée) en 1896 à des passionnés d’histoire militaire dont les peintres Edouard Detaille et Ernest Meissonnier. Paul Marmottan, historien du Premier Empire s’impliqua beaucoup dans sa création en donnant d’ailleurs une partie de sa collection. La dissimulation à usage militaire n’appartient-il pas à l’art de l’illusion ?
C’est en août 1915, un an après le début de la Première Guerre mondiale qu’est créée la section Camouflage. Artistes et décorateurs de théâtre travaillent alors au développement de dispositifs stratégiques homologués par les généraux pour protéger les hommes et améliorer la défense et les attaques de tous les corps d’armées.
Dès lors, cette nouvelle arme du camouflage n’aura de cesse que de se perfectionner pour que le soldat ne fasse plus qu’un avec son environnement.
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