Dimanche 8 mai 2011
On commémore ce jour-là la fin de l'enfer de la Seconde Guerre mondiale. Je me promène alors le long de la Place de la République, et Monsieur le Maire fait une allocution devant les monuments aux morts avant le dépôt de la gerbe. La musique de la petite ville reprend de temps à autre les refrains d'usage. Le temps est incertain , comme si, lui aussi ,voulait habiller de gris ce ciel avranchin et mouiller cette terre d'une pluie que l'on attendait plus avec ce beau temps. Je suis aujourd'hui à Villedieu-les-Poêles, une ville que l'on traverse mais où on ne s'arrête pas toujours. Et pourtant....Quelle ville et quelle histoire! Ses habitants que l'on appelle les sourdins (et qui auraient pu aussi bien ,depuis le temps, être surnommés « sourdingues » avant le bruit que faisaient les ateliers du travail du cuivre dont le martelage constant pouvait à la longue altérer l'ouïe.
Au cœur du Bocage normand, Villedieu-les-Poêles n'est alors qu'un terroir qui appartient à l'abbaye aux Dames de Caen et qui ne possèdera pas de paroisse avant le XII ème siècle. C'est Henri 1er Beauclerc ( le plus jeune fils de Guillaume le Conquérant) qui fera don de cet endroit aux Frères Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem vers 1130, un ordre militaire et religieux connu de nos jours sous le nom d'Ordre de Malte, avec la charge de le faire fructifier. Les sourdins furent ainsi longtemps dispensés de payer l'impôt.

En ce jour férié, beaucoup d'endroits sont fermés mais la meilleure façon de découvrir un lieu est de s'y promener, appareil-photos en main, et d'y découvrir les moindres recoins. A partir de la première croisade, le renom des soins de la protection accordée par les Frères hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem déclenche une vague de donations dans toute l'Europe en direction de ce qui n'était qu'un hameau de la vallée de la Sienne. Et Villedieu ( anciennement Siennêtre) deviendra bientôt la première commanderie de France. Malgré les apparences, Henri 1er Beauclerc offre les conditions favorables au développement urbain. Une voie d'eau , la Sienne, traverse les lieux, ainsi qu'un chemin de pélerinage très fréquenté. Un droit de marché hebdomadaire et un droit de foire est alors octroyé, de quoi dynamiser le commerce. Les Frères hospitaliers apporteront leur indépendance spirituelle et temporelle ( ils ne dépendent que du Pape!) et leurs privilèges. Cet ordre a fait sa renommée sur ses connaissances en médecine et sa capacité à dispenser des soins. Au XVII ème siècle, la Sacrée infirmerie est l'hôpital le plus grand mais aussi le plus moderne d'Europe. On y pratique déjà avec succès l'opération de la cataracte et le taux de mortalité des lieux est très bas avec (seulement) 8%. L'ordre , dans la seconde moitié du XIX ème siècle luttera contre la faim et la maladie, instaurera un programme d'alphabétisation, fera de la recherche pharmaceutique,etc...Les habitants de cette commanderie sont exempts de dîme , d'obligations militaires, de taxes et d'impôts royaux. On se croirait presque à Monaco! Très vite, la prospérité du cuivre assurera le succès définitif de cette colonisation.
Le parc de la Commanderie faisait partie de ce que l'on appelait l'île Bilheust ou l'ile de la Commanderie. Cette île fut créée par les hospitaliers qui creusèrent un canal de dérivation, asséchant ainsi la zone de l'île qui permettra ainsi l'installation des bâtiments de la commanderie, dont le Logis du Commmandeur (photo ci-dessous).


Grâce à son plus intense courant, ce nouveau canal favorisera aussi l'essor de nombreuses activités, comme celle du cuir: Tanneurs et mégissiers utilisaient l'eau et son courant pour laver et décanter les peaux de porc, mouton et veau. Ces tanneries existèrent du XVIII ème au XIX ème siècle. On en comptait alors entre vingt et trente qui utilisaient à la fois la graisse des peaux afin d'en faire du savon. Puis les soies pour les utiliser dans la brosserie. Les soies de deuxième qualité servaient à garnir les matelas. On laissait alors les peaux tremper durant deux mois puis on les mettait à sécher sur des séchoirs. Celles-ci finissaient enfin comme tamis mais aussi en vêtements.

Je me promène dans la rue Gambetta, située à proximité de la Commanderie. Et y retrouve de grandes maisons bourgeoises en granit du Gast et en pierre de la Butte Pagnier qui datent des XVIII ème et XIX ème siècles. Au numéro 22 (photo ci-dessous), la maison est représentative de Villedieu-les-Poêles avec ses persiennes claires typiques, sa cheminée massive en granit et ses lucarnes. Juste à côté, au numéro 20, on peut admirer un bel exemple de construction utilisant la pierre de la Butte Pagnier.

Construite elle aussi en granit, l'église Notre Dame porte les marques des XV ème, XVI ème et XVII ème siècles. Elle fut édifiée au XII ème siècle , puis fut ruinée lors de la Guerre de Cent ans et reconstruite en 1495 et partiellement détruite par le feu en 1632.
La renommée de cette église est assurée par les magnifiques statues: Sainte Vénice , une sainte guérisseuse invoquée pour les maux des femmes, mais aussi une drôle de statue en pierre qui représente Notre Dame de Pitié portant dans ses bras le Christ adulte(photo ci-dessous). D'autres statues, en bois polychrome, sont protégées par les Monuments Historiques et personnifient les patrons des anciennes confréries. On retrouve ainsi dans l'ancienne Chapelle Saint Jean la statue de Sainte Anne mère de Sainte Marie et patronne des poêliers. Puis à droite Saint Nicolas, le patron des marchands de salaison que l'on reconnait par son saloir d'où sortent trois enfants, puis Soeur Emerentienne, la mère de Sainte Anne et la patronne des dentellières et des fileuses. L'église abrite également Sainte Barbe la patronne des fondeurs de cloches et des sapeurs pompiers. Dans le transept nord se trouve la liste des gardes de la confrérie des chaudronniers et des dinandiers dont Saint Hubert est le patron.

La Mairie de Villedieu fut construite entre 1862 et 1869. Il s'agit d'un bâtiment à quatre niveaux de colonnades flanqué d'un escalier monumentale conçu dès le départ pour affirmer la vocation municipale de l'édifice. Désormais, la Mairie fait face orgueilleusement au pouvoir religieux représenté par l'église en face.

Je remonte par la Place de la République, très animée les jours de marché ( le mardi). Le stationnement y est alors interdit. La cité a su préserver une certaine activité commerciale au fil des siècles. En 1710, on y comptait 108 boutiques de commerces divers situés le long de la rue Gambetta et le long des Halles ( l'actuelle Place de la République).J'observe avec attention , en haut de la Place, la statue de la République érigée sur sa colonne en 1899, qui rappelle l'engagement républicains des sourdins qui dès les premières heures de la Révolution française soutinrent la République alors que les troupes royalistes de Monsieur de la Rochejacquelin pillaient la cité. On retrouve dans cette statue tous les symboles de la République: Le laurier, le blé et le bonnet phrygien.

Je remarque de toutes petites rues, appelées cours, notamment dans la rue du Docteur Havard. Il faut se souvenir que Villedieu-les-Poêles vivait beaucoup de l'artisanat. Et ces cours étaient les ateliers où se rassemblaient les artisans qui travaillaient entre autre le cuivre. Dans chaque cour vivaient plusieurs familles. Au rez-de-chaussée se tenaient les batteries (ateliers où l'on battait les plaques de cuivre pour les transformer) et à l'étage les habitations. Les lucarnes dotées de potence qui se trouvaient sur les toits étaient utilisées pour acheminer le bois. En 1742, on dénombrait 139 batteries. Depuis, les cours ont retrouvé le silence et la tranquillité de lieux de villégiature mais il n'en fut pas toujours ainsi. On dénombre ainsi de nombreuses cours à Villedieu (Cours de l'Enfer, du Paradis, de la Luzerne ou des Hauts-Bois....), cours qui étaient autrefois toujours fermées la nuit. Les habitants en étaient propriétaires et il y régnait souvent un esprit de clan. Tout le monde prêtait main forte lorsqu'une corvée (arrivée d'une charretée de bois ou de cidre) se présentait. Au moment des communions, une communiante fortunée prenait en charge une communiante qui ne l'était pas. La solidarité était forte.

Sur mon itinéraire, je passe le long de la Sienne ou plutôt de son canal. Là se trouvent d'anciens lavoirs, très actifs autrefois. Au premier plan , on observe les restes de cinq de ces lavoirs ( qui devraient être bientôt restaurés). On trouve ainsi plusieurs lavoirs privatifs. Leur construction a pris essor au cours du XIX ème siècle pour combattre les grandes épidémies comme celle du choléra. En 1851, on débloqua même la somme de 600 000 francs d'alors pour la construction de lavoirs publics. Ces lavoirs étaient fréquentés chaque semaine par les petites gens, et trois fois par an pour effectuer ce qu'on appelait les grandes lessives. Ces grandes lessives duraient trois jours, nommées Purgatoire, Enfer ou Paradis. Le Purgatoire consistait à déballer le linge, à le laisser tremper un ou plusieurs jours, puis à couler le linge (en l'enfermant dans un grand drap accompagné de cendres de bois et de feuilles de laurier). Ensuite, le linge était savonné, battu et brossé. Un travail de longue haleine. La phase de savonnage du linge était surnommée le Paradis. Ce n'était pas forcément le septième ciel pour ces femmes qui restaient agenouillées quatorze heures durant dans leur carrosse (boite en bois). La Place du Pussoir fidèle possédait au fond un lavoir public où aucun drap ne fut jamais dérobé. D'où peut être l'origine du nom de cette place: Pussoir (lavoir) fidèle. Sur cette place se trouve l'Atelier du Verre où vous pourrez voir un artisan souffler le verre devant vous. Vous repartirez avec de superbes objets dont ces magnifiques fleurs de verre (photo ci-dessous).


A l'angle des rues du Docteur Havard et Blanche Blondel, je trouve une sorte de terrasse couverte en bois qui donne beaucoup de charme à cette maison d'angle (photo). Je rencontrerai ainsi d'autres maisons anciennes pleines de caractère lors de ma promenade.

INFOS PRATIQUES:
-
Office de tourisme de Villedieu-les-Poêles , Place Costils à Villedieu. Tel: 02 33 61 05 69. Contact: contact@ot-villedieu.fr Site internet: http://www.ot-villedieu.fr
Procurez-vous le passeport « parcours touristique » qui offre plusieurs promenades (avec les commentaires) à effectuer dans la cité.
Des vitrines des métiers d'art sont régulièrement offertes aux visiteurs à l'intérieur de l'office de tourisme. A ne pasmanquer!
Pour les enfants de 7 à 12 ans, Villedieu-les-Poêles organise une enquête pour rire et découvrir: « Guillaume Mainsdor et le voleur de poêles ». Sous la forme d'une enquête policière médiévale, un jeu de piste est organisé avec, pour objectif, de faire découvrir l'histoire médiévale et artisanale de la ville. Un scénario existe, point de départ de l'enquête et un certain nombre d'énigmes doit être résolu. Inscription et renseignements au 02 33 61 05 69. Tarif famille: 5€ pour un enfant, 7€pour deux enfants, et 9€ pour trois enfants. Remise à chaque participant de la mission+ prêt d'une cape médiévale+paire de jumelles+récompense en fin de parcours.
-
L'Atelier du Verre, 4 Place du Pussoir fidèle à Villedieu. Tel: 02 33 50 72 89. Ouvert tous les jours (sauf le lundi) de 10h à 12h et de 14h à 18h.
