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Kagoshima et l'ouverture du Japon
(Préfecture de Kagoshima, Kyushu, Japon)
Heure locale

Dimanche 1er juillet 2012

 

Je suis, comme vous, souvent émerveillé par ce Japon moderne avec ses trains rapides, ses grands magasins , ses usines... mais il n'en a pas toujours été ainsi. Imaginez ce Japon médiéval il y a encore 200 ans. C'est comme si, d'un coup de baguette magique, Jacquouille ( dans le film « Les Visiteurs ») se retrouvait propulser de l'époque médiévale à l'ère moderne. Quel choc! En partant à Kagoshima, je ne me doutais pas que j'allais en fait visiter la ville d'où s'est fait jadis cette ouverture du Japon. Tout ne s'est pourtant pas fait sans mal. L'ouverture commerciale cachant une politique colonialiste du Commodore Perry, en 1853, en menaçant des ses canons le Japon si celui-ci n'obtempérait pas, fut d'abord ressenti comme une humiliation nationale. Face à une menace militaire avec des machines inconnues jusqu'à ce jour, le shogunat dut se plier et signa le traité de 1854 imposé par les Américains. Ce traité imposa au Japon l'abolition des barrières douanières pour les produits occidentaux (pas moins!) et institua pour tout occidental résidant au pays du soleil levant un statut d'exterritorialité. Une réaction d'autodéfense bien légitime (pour tout peuple qui se respecte) se produisit et des attentats eurent lieu dans un premier temps contre des occidentaux. Les menaces ne se firent pas attendre et ce fut par exemple le bombardement de Kagoshima, en 1863, par les troupes britanniques, en représailles du meurtre de Charles Richardson (incident de Namamugi). L'anglais, curieux, avait eu la mauvaise idée de trop s'approcher du palanquin d'Hisamitsu Shimazu, régent du clan Satsuma, lors de la passage de sa caravane près du village de Namamugi.

Ce fut bientôt un combat entre le shogunat (régime féodal) et la restauration Meiji (nouveau régime). Sur l'île de Kyushu, existait le fief Satsuma qui, sous le régime de Tokugawa, comprenait les anciennes provinces impériales de Satsuma, d'Osumi , une partie de celle de Miyazaki et la partie sud-ouest de celle de Hyuga, l'actuel département de Kagoshima. Les Shimazu étaient les daimyos titulaires de ce fief. Durant les guerres féodales, ils conquirent de vastes étendues dans le nord de Kyushu et jouirent d'un pouvoir supérieur à celui d'autres fiefs. La guerre avec les britanniques, en 1863, allait pourtant redistribuer la donne: Kagoshima fut bombardée et une partie de la ville fut détruite.

 

Plusieurs destins se retrouvèrent alors liés: Celui de Nariakira Shimazu, 28 ème lord de Shimazu, passant pour l'un des nobles les plus brillants de l'ère Edo à cause de sa vision globale favorable à l'ouverture du Japon au monde , et Saigo Takamori, issu d'une modeste famille de samourais, qui obtiendra un poste important au côté du lord. Opposant au shogunat, il était favorable à l'Occident ce qui lui vaudra d'être exilé en 1859, à la mort de son protecteur. En 1865, 19 étudiants du clan Satsuma prirent le large pour partir en voyage d'étude en Europe. Tous ces jeunes avaient les mêmes origines ( familles de samourais) et vivaient de la même manière. Ils furent formés par le même système éducatif et cultivaient déjà une autre idée du Japon. Ils embarquèrent bientôt vers ce qui allait être pour eux un monde nouveau. Très vite, ils sont désarmés à bord de l'embarcation et doivent renoncer à leurs cheveux de samourais, enfilent des vêtements occidentaux, et découvrent l'alimentation occidentale. Le voyage dure plusieurs mois et ils découvrent sur leur route la construction du canal de Suez (grâce à l'actionnariat, un système inconnu pour eux). Puis le train, le transport par rail, les lampes à gaz à Londres, etc... Au final, ces étudiants de Kagoshima rentrèrent au Japon avec pleins d'idées en tête, et un système éducatif appelé Goju (régional): Ce système d'éducation sera mis en place à partir de 1596 par le 17 ème lord Yoshihiro Shimazu. Ses principes étaient les suivants: Ne jamais perdre, ne jamais oppresser les plus faibles et ne jamais mentir. Le corps et la volonté étaient mis à l'épreuve et une vie simple était encouragée. Les jeunes de Satsuma furent élevés dans cet environnement et les anciens transmettaient alors aux plus jeunes les préceptes d'éducation. Il existait trois niveaux d'éducation: de 6 à 7 ans, de 11 à 16 ans et de 16 ans jusqu'au mariage. Celui qui avait le plus haut grade était chargé d'éduquer les plus jeunes. Nariarika Shimazu revitalisa le système d'éducation Goju, encourageant les jeunes générations à regarder vers le monde extérieur, arguant que cela serait utile à la nation. Ce système forgea ainsi de nombreux hommes qui jouèrent ensuite un rôle primordial dans la modernisation du Japon.


 

Parmi ces hommes, on trouve Nariakira Shimazu, Saigo Takamori, Ryoma Sakamoto, Okubo Toshimichi mais aussi le frère de Takamori, Tsugumichi Saigo (qui posera les bases de la marine japonaise), Masaharu Ijichi qui sera le tacticien responsable de nombreuses victoires du clan Satsuma, Tamemoto Kuroki, général d'armée, Heihachiro Togo, amiral de la flotte japonaise, Kunimoto Shinohara, Général majeur de l'armée, Tomomi Yoshii, qui devint le bras droit de son ami Takamori Saigo, Shinpachi Murata, et Oyama Iwao, cousin de Takamori . Tous ces hommes naquirent à Kagoshima et furent issus du système Goju.

Nariakira Shimizu décéda le 16 juillet 1858 et c'est Hisamitsu Shimazu qui lui succédera. Ce dernier échouera dans son projet de réunir la noblesse et les samourais au sein d'un même groupe. Takamori Saigo, tombé en disgrâce après le décès de Nariakira Shimzu fut d'abord exilé, puis réintégré par le nouveau lord en 1864. On lui donna bientôt le commandement de l'armée de Satsuma à Kyoto. Il connut plusieurs succès militaires , maintenant des relations proches avec Okubo, proche conseiller du lord Hisamitsu Shimazu. A force d'alliances secrètes entre les clans de Satsuma, Choshu et Tosa, 1867 fut l'année du renversement du shogunat. Le 9 décembre 1867, on ordonna de réinstaurer la loi impériale et le 3 janvier 1868, les forces rassemblées des clans de Satsuma et de Choshu, placées sous les ordres de Saigo, combattirent les forces shogunales lors de la bataille de Toba Fushimi. Il se mit rapidement en route pour conquérir l'est du pays, épargnant sur son chemin la ville d'Edo (qui sera rebaptisée Tokyo le 17 juillet). Le gouvernement Meiji fut instauré en octobre de la même année. Nariarika aurait été heureux de voir hisser le drapeau Hinomaru (drapeau national) qu'il avait lui-même créé en symbolisant le lever de soleil, et qu'il avait proposé au shogunat de l'époque. Ce drapeau deviendra officiel le 11 juillet 1854.

 

Pendant ce temps, le gouvernement Meiji était resté sous le contrôle des leaders des clans Satsuma, Choshu, Tosa et Hizen. Saigo les avait rejoint et avait proposé la création d' une armée unique créée à partir de celles des clans. Le 14 juillet 1871 fut l'épreuve du feu pour le nouveau gouvernement, avec la création des nouvelles préfectures et l'abolition du système des daimyos. Saigo, qui avait pris la tête du Cabinet, annonça en même temps la propriété de la terre, la liberté de religion et de l'emploi, une ébauche de la nouvelle armée, l'adoption du calendrier grégorien, l'instauration de la scolarisation pour toute la population, la création d'un corps de garde impérial et des ministères de la Marine et de l'Armée, la colonisation d'Hokkaido...

Il s'agissait aussi de réinstaurer des relations diplomatiques avec la Corée. Cela fut chose faite en août 1873. Nos jeunes gens de Kagoshima avaient fait bien du chemin depuis les bancs de l'école. Et leurs routes se séparèrent bientôt: Okubo partit pour l'Europe. Il quitta Yokohama le 12 novembre 1871 pour un voyage en Amérique, en Grande Bretagne, en France, aux Pays-Bas et en Allemagne. Il rentrera au Japon deux ans plus tard. Saigo (sa statue ci-dessous), lui, démissionna le 23 octobre 1873, fut relevé de toutes ses responsabilités militaires mais resta Général d'armée. Puis il retourna à Take, son, village natal en novembre. Les deux hommes avaient remis les clefs de ce nouveau gouvernement à ce groupe d'étudiants qui était parti visiter l'Europe.

 

Mais une série d'incidents vint émailler les premiers pas de l'ère Meiji. La rébellion de Satsuma débuta en 1877. Celle-ci opposa le clan samourai Satsuma à l'armée impériale japonaise. Ironie du sort, c'est Saigo Takamori qui prendra la tête de la rébellion, lui qui avait , quelques années auparavant, instauré la restauration Meiji. Il s'opposait désormais à l'armée impériale qu'il avait lui-même créée. Saigo se battit pour la préservation de la caste des samourais mais aussi pour un gouvernement plus vertueux. Une unité navale fut envoyée en janvier 1877 afin de désarmer Kagoshima mais elle fut attaquée par Saigo et ses hommes. Un mois plus tard, Saigo assiégea la caserne de l'armée impériale à Kumamoto, avec ses 40 000 hommes. L'armée impériale riposta avec 300 000 hommes et malgré le grand courage des samourais, les forces étaient inégales. La bataille dura six semaines et Saigo resta à la fin avec seulement 300 hommes. Ils furent repoussés jusqu'à Kagoshima . Une bataille décisive eut lieu: La bataille de Shiroyama. Soit 35 000 soldats impériaux face à 300 samourais. Malgré un intense bombardement, les samourais résistèrent. Il y eut beaucoup de blessés dans leurs rangs mais ils décidèrent de charger héroïquement à cheval et furent tous massacrés par les fusils impériaux. Saigo, aidé par un de ses lieutenants, décida d'en finir en se faisant seppuku ( suicide par éventration). Ainsi prit fin la caste des samourais. Mais Saigo Takamori fut, quelques temps plus tard, élevé au rang de héros tragique par le peuple japonais et le gouvernement lui pardonna dix ans après, en lui rendant les honneurs à titre posthume. La boucle était bouclée: Saigo avait quitté ce monde aux côtés de ses étudiants, monde qu'ils avaient tous ensemble contribué à forger. Quant à Okubo, il sera assassiné moins d'un an plus tard à Tokyo. Enfin, Ryoma Sakamoto, l'un des dirigeants du mouvement qui avait contribué à abolir le shogunat, avait lui aussi été assassiné précédemment en 1867. Triste fin pour nos héros!

Mais l'histoire ne dure pas. C'est juste un moment dans l'éternité. Dans le monde d'aujourd'hui où les héros n'existent plus, les gens sont naturellement attirés par la ferveur et la stature d'hommes comme Saigo et Okubo. Et pourtant plus d'un siècle s'est écoulé depuis...mais je croiserai dans les rues et les jardins un nombre impressionnant de statues représentant ces héros-là. Une route de la Restauration Meiji a même été créée, qui relate cette époque, avec des passages obligés comme cette maison de samouraï (ci-dessous) le long de la rivière Kotsuki, ou encore cette statue de bronze d'Okubo Toshimichi (deuxième photo). Ou encore la cave où Saigo se réfugiera ses dernières heures avec ses disciples (troisième photo) au mont Shiroyama.


 

Plusieurs stèles matérialisent toujours les lieux de naissance de nos héros et un superbe musée, le Musée de la Restauration Meiji invite à découvrir ce que fut cette page d'histoire, au travers de vitrines (costumes, instruments d'époque, accessoires, armes...) mais aussi de maquettes interactives permettant de comprendre le fonctionnement des machines utilisées à cette époque. La salle d'exposition N°2 aborde Satsuma et le Japon après la Restauration (au sous-sol). La maquette du premier bateau militaire japonais construit selon les normes occidentales en 1854 est visible au rez-de-chaussée (première photo en début de reportage). Et deux spectacles audiovisuels sont offerts aux visiteurs: Le premier parle des étudiants de Satsuma et de leur départ pour l'Occident, le deuxième parle de l'histoire du Japon entre la fin du shogunat et le début de l'ère Meiji. Tous les évènements importants de cette période sont passés en revue et des commentaires en anglais sont disponibles.

 

 

INFOS PRATIQUES:

 


  • Musée de la Restauration Meiji, 23-1 Kajiya-cho à Kagoshima. Tel: 099 239 7700. Ouvert tous les jours de l'année, de 9h00 à 17h00. Ticket: 300 yens. A 8 minutes à pied de la gare ferroviaire JR.

     

    Spectacle N°1: 9h50, 11h00, 12h15, 13h25, 14h40, et 15h55

     

    Spectacle N°2: 9h15, 10h20, 11h35, 12h45, 14h00, 15h15 et 16h30

  • Tourisme Exchange Center, à deux pas du musée de la restauration Meiji (de l'autre côté du pont). Ouvert tous les jours de 9h00 à 19h00.

  • Musée préfectoral de Kagoshima Reimeikan (ci-dessus), 5-1 Shiroyama-cho à Kagoshima. Tel: 099 222 5100. Ouvert tous les jours (sauf le lundi) de 9h00 à 17h00. Ticket: 300 yens. Photos interdites (excepté dans le lobby).

 









 



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