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Le Musée Municipal des Peuples du Nord
(Hakodate, Hokkaido, Japon)
Heure locale


Samedi 6 avril 2013

 

De passage à Hakodate, je visite aujourd'hui le Musée des peuples du Nord. Sur cette île d'Hokkaido, appelée autrefois Yeso ou Eso, on comptait plusieurs peuples: Les Aïnous, bien sûr, qui furent les premiers habitants de l'archipel. On en retrouve d'ailleurs la trace de la langue dans la toponymie de l'île ainsi que celles de nombreuses autres villes comme par exemple Sapporo. On discute encore de l'origine du mot Aïnou dont on pense qu'il serait originaire des peuples mongols venus d'Asie. Des études archéologiques, en effet effectuées dans le sud de l'île, prouvèrent la présence de la peuplade Jomon il y a 8000-6000 avant notre ère, dont les Aïnous seraient les descendants tardifs. On découvrit aussi que les Okhotsks s'étaient installés au nord d'Hokkaido. Ces minorités font partie de la population japonaise au même titre que les Ryukyu, les Burakumin, ou d'autres populations issues de l'immigration chinoise ou coréenne. Ces peuples indigènes vivaient dans la nature et développaient leurs propres cultures. Les collections du musée présentent avant tout d'abord les outils du peuple Aïnou qui étaient utilisés dans la vie quotidienne, nous le verrons à la fin de cet article. Les vêtements souvent joliment décorés, n'étaient pas seulement portés lors des cérémonies ou des rites mais aussi pour se protéger de la malchance et des maladies (ci-dessous). A l'origine chasseur, pêcheur et cueilleur, le peuple aïnou possédait à la fois sa propre langue, sa tradition orale, sa culture et son propre système religieux.


 

Le territoire des Aïnous s'étendait du nord de Honshu jusqu'au sud de la péninsule de Kamtchatka en englobant Hokkaido, les îles Kouriles et l'île de Sakhaline. On retrouve leurs traces grâce à des écrits japonais qui confirment qu'ils apparurent au VII ème siècle. Ils connurent longtemps des rapports tendus , entremêlés de guerres et d'échanges commerciaux. Le XVI ème siècle verra s'accroitre la pression des Japonais et l'île d'Ezo ( l'actuelle Hokkaido) sera revendiquée par les nippons au XIX ème. Vint alors la colonisation. Et les Aïnous de poursuivre inlassablement leur combat pour défendre leur reconnaissance et leurs droits.

L'origine des Aïnous est indéterminée et donne lieu à plusieurs hypothèses: La première, issue d'un anthropologue allemand, avance l'origine caucasienne. L'école polonaise, elle, prétend qu'ils descendraient des peuples mongols du nord-est asiatique, arguant de leur ressemblance physique avec les peuples voisins et s'appuyant sur l'analyse de leur langue. Une troisième thèse les voit descendre des peuples du sud-est asiatique à la faveur de preuves sur leur art, leur religion et leur culture matérielle. Au XX ème siècle, des chercheurs japonais évoquèrent les liens entre les Japonais modernes, les Aïnous et les populations de Jômon. L'analyse de dents auraient démontré que les Aïnous seraient plus anciens que les Japonais et seraient les descendants les plus directs des Jômons. Leurs origines remonteraient donc aux Proto-australoïdes. Dès lors, l'entrée de ce peuple dans l'histoire du Japon va se faire grâce aux écrits: Dans le Kojiki et le Nihonshoki, les Aïnous apparaissent sous le nom de Ebisu ou Emishi, ces barbares repoussés lors de la conquête du pays par les premiers empereurs. Mais il pourrait tout à fait s'agir d'ethnies aujourd'hui disparues. On les décrit comme des guerriers farouches, faisant preuve d'unité malgré l'absence d'un gouvernement central. Périodes de guerre et de paix alterneront ensuite entre les Aïnous et les Japonais (qui débarquèrent à Hokkaido à partir du XV ème siècle). Ces arrivants nippons rassemblaient aventuriers, déserteurs et criminels qui fondèrent notamment des pêcheries. 1514 voit l'établissement d'un quartier général dans le sud-ouest de l'île et une petit partie d'Hokkaido passe sous contrôle japonais dès 1551: Cette enclave deviendra le clan Matsumae.


 

L'influence de ce clan ne cessera de grandir au travers du développement de l'agriculture et de la modernisation des exploitations. Le jésuite Ignacio Moreira sera le premier européen à entrer en contact avec les Aïnous, en 1591. Au XVIII ème, le bakufu (shogunat) s'intéressera davantage à Hokkaido à cause de le pression grandissante des Russes sur les îles du nord ( Kouriles, Sakhaline). Cette date correspondra aussi à la dernière poche de résistance armée des Aïnous lors de la bataille de Kunashiri-Menashi, en 1789: Ces combats se déroulèrent sur la Péninsule de Shiretoko, au nord-est d'Hokkaido. Le conflit, qui débute en mai 1789, mettent en présence les Aïnous qui attaquèrent les Japonais sur l'île de Kunashiri puis en mer. Plus de 70 Japonais sont alors tués, et 37 Aïnous, considérés comme les meneurs, sont exécutés. Il semblerait qu'un empoisonnement au saké au cours d'une cérémonie de loyauté, par des marchands japonais, eut provoqué cette révolte mais les raisons exactes ne furent jamais élucidées.

Hokkaido est purement et simplement annexée au Japon en 1869 et donne le point de départ à la colonisation des lieux. La situation du peuple aïnou va alors se dégrader:Maladies, alcoolisme, isolement et choc des civilisation vont faire leur œuvre. Le 2 mars 1899 est mise en place une loi de protection où les indigènes sont nommés aborigènes kyudojin. Et la fin de lère Meiji Meiji Jidai verront les Aïnous spoliés de leurs terres et désormais voués à l'extinction. Début du XX ème siècle, ce peuple n'est plus considéré que comme une attraction touristique et on les parque dans des réserves. On les expose également lors de manifestations internationales comme à Chicago en 1904 ou à Londres en 1910.


 

La résistance s'organise toutefois à partir des années 1920-1930: 1930 voit en effet la création de l'association des Aïnous d'Hokkaido (qui deviendra l'Hokkaido Utari Kyodai en 1946) qui se donne pour ambition de rassembler le peuple aïnou et de demander la révision de la loi de 1899. Malheureusement, cette association demeurera sous la tutelles des autorités et les Aïnous resteront instrumentalisés jusqu'à la fin des années soixante. Malgré tout, des mouvements d'opposition, émanant tant des habitants de l'île que des opposants à la discrimination, vont imposer leurs revendications. 1968 verra ainsi des manifestations à l'occasion du centenaire de l'occupation japonaise, manifestations qui contraindront le gouvernement nippon à réviser la fameuse loi de 1899: Celle-ci, bien que restant discriminatoire, permettra toutefois aux Aïnous de recevoir des aides sociales. Plus tard, d'autres initiatives permettront à ce peuple de s'affirmer davantage, en misant sur une stratégie internationale basée sur les droits de l'homme, à l'image d'autres peuples autochtones de par le monde. En 1987, ils sont admis dans le groupe de travail sur les peuples autochtones au sein de l'ONU alors que l'État japonais ne les reconnaitra en tant que minorité ethnique qu'en...1991! Six ans plus tard, en 1997, la Cour de Sapporo reconnaitra le caractère autochtone des Aïnous à Hokkaido lors d'un procès contre les expropriations visant à construire un barrage sur des terres sacrées. Le barrage sera construit mais cette reconnaissance s'ajoutera à une autre bonne nouvelle intervenant aussi en 1997: L'abolition du statut d'ancien aborigène et la promulgation de la loi pour la promotion de la culture aïnou et pour la diffusion et le soutien des traditions aïnous. On crée des évènements et t des structures subventionnés, mais sans faire appel aux Aïnous. Par exemple, le Centre de promotion et de culture aïnou de Sapporo n'est pas géré par les Aïnous mais par l'administration japonaise. L'inscription de la Péninsule de Shiretoko, en 2005, au patrimoine mondial de l'UNESCO ne mentionnera pas plus le nom de ce peuple, pourtant à l'origine de l'appellation de cette péninsule. En 2008, la Diète fait pression sur le gouvernement japonais afin que celui-ci reconnaisse enfin les Aïnous comme des indigènes du pays pour faire disparaître les discriminations. 2011 verra (enfin!) l'entrée de ce peuple dans la vie politique institutionnelle à travers le mouvement militant mené par Kayano Shiro, fils de Kayano Shigeru. La culture aïnoue se développe aussi grâce à des festivals mais aussi à l'intervention de personnalités politiques comme Kano Oki. Les derniers recensements annoncent une population en hausse. Malgré tout le combat des Aïnous n'est pas achevé.


 

Le musée ouvre tôt en ce dimanche et je me retrouve souvent seul face aux collections présentées. Un petit livret rédigé en anglais m'a été remis à la réception afin de m'aider dans la compréhension de l'exposition: Celle-ci s'intéresse surtout au peuple aïnou et à ses objets de la vie quotidienne. Ces objets, rassemblés par Osamu Baba, mais aussi Sakuzaemon Kodama et le musée lui-même permettent d'illustrer magnifiquement les cultures des peuples nordiques. On y aborde entre autre la légende des Koropokkuru, ces hommes vivant sous les feuilles de pétasites (plantes herbacées vivaces) ou sous terre, d'après la mythologie aïnoue. De la taille des pieds d'un enfants, ces « lutins » sont considérés comme des « kamuys » végétaux, habitants des forêts qui aident le voyageur perdu pour le remettre sur le droit chemin.

J'admire au passage une peinture en douze tableaux que l'on doit à Byozan Hirasawa (ci-dessus) et qui représente la vie quotidienne du peuple aïnou durant les douze mois de l'année. Tout près de là est affichée une carte détaillée de Hokkaido qui fut tracée par Takeshiro Matsuura, un explorateur du nord sous le shogunat Tokugawa. Une pirogue destinée à la chasse à la baleine est aussi présentée derrière une vitrine. Elle servait aux Aléoutiens de la Mer de Béring et des îles aléoutiennes.

Nous l'avons déjà dit, les vêtements répondaient à des besoins pratiques mais aussi esthétiques chez les peuples du nord: Ils étaient censés protéger des maladies et de la malchance et revêtaient un rôle magique. La région de Sakhaline et la partie inférieure du fleuve Amour étaient traversées par la route de la soie du nord, durant le règne des Tokugawa. Cette route permettait le commerce de la précieuse fibre entre la dynastie des Ching et les peuples nordiques comme les Urichi, Orochu ou les Nivukh. On y vendait également des fourrures de martres, des vêtements chinois, des parures et des objets en métal utilisés par les Aïnous. Une vitrine me permet d'admirer les vêtements alors portés par les membres du gouvernement de la dynastie Ching.


 

Selon la croyance des peuples nordiques, tout ce qui existait possédait un esprit et l'homme devait coexister avec ces esprits, incarnations des dieux. Le chamane ressemblait à un magicien, car il guérissait les gens souffrants, consolait les malchanceux et prédisait l'avenir. Il était surtout le seul homme à pouvoir entrer en communication avec les esprits et portait souvent une couronne de cérémonie (ci-dessus). On chantait des incantations lors de la prise de décisions et on utilisait amulettes et figurines en bois pour combattre le mauvais sort et la maladie. Chez les Aïnous, la croyance religieuse occupait une place importante. Les cérémonies les plus significatives consistaient à reconduire les esprits des chouettes et des ours sur la terre de leurs dieux. Les gens récitaient alors des prières tout en faisant des offrandes.

L'artisanat occupait un place importante et il existait de nombreux objets de formes, tailles et motifs différents. Certains de ces objets qui furent retrouvés appartinrent à la culture des Okhotsk, un peuple vivant autrefois de la chasse, de la pêche et de la cueillette, dans la région de Sakhaline et le long de la Mer d'Okhotsk à Hokkaido entre les VI ème et XIII ème siècles. Leur culture émanerait des peuplades eurasiennes Makkatsu et Joshin qui auraient été plus tard assimilées par la culture Satsumon. Ces peuples nordiques ne se contentaient pas de rendre leur quotidien pratique mais faisaient aussi preuve de création: Cette peinture de chasse sur ivoire (ci-dessous) réalisée par des Aléoutiens le démontre. La musique occupait aussi une place non négligeable et il existait plusieurs instruments comme par exemple cette harpe à bouche appelée koukin (deuxième photo ci-dessous).


 

Les dernières salles du musée abordent les collections présentées et leurs histoires. Les collections appartenant au musée, mais aussi celle de Osamu Baba, qui naquit à Hakodate en 1892. Il deviendra chercheur, entre autre sur les Kouriles et les îles Shumushu, et rassemblera de nombreux objets avant de s'éteindre à l'âge de 87 ans. La collection Kodama est aussi abordée. Sakuzaemon Kodama, professeur émérite de l'Université d'Hokkaido, se préoccupa très tôt de la préservation des objets ethnologiques du peuple Aïnou et se consacra à leur étude et collecte. Sa collection d'objets est l'une des plus importantes sources disponibles sur l'histoire des Aïnous et porte son nom. Une vitrine nous parle aussi de ceux qui furent les pionniers de l'ethnologie aïnoue, comme ces explorateurs et ces missionnaires étrangers qui débarquèrent au Japon entre le milieu du XVI ème et le début du XVII ème siècle, avant que les Japonais eux-mêmes ne fassent des recherches sur la culture aïnoue. Cette visite se termine par la situation du nord du Japon à la fin du règne des Tokugawa. La dernière salle permet d'admirer quelques peintures aïnoues comme cette scène spectaculaire d'Ezo, oeuvre de Shiranozo Murakami (ci-dessous).


 

 

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