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Okasaki et le Miso, une affaire de goût
(Préfecture d'Aichi, Japon)
Heure locale

 

 

Samedi 4 mai 2013

 


 

Une fois n'est pas coutume, je vais mettre les petits plats dans les grands et vous parler de cuisine. De passage dans la préfecture d'Aïchi, je fais une halte à l'usine de fabrication de miso de Maruya Hatcho Miso qui se trouve à Okazaki, une ville à proximité de Toyahashi.

 

Le miso est un aliment japonais traditionnel qui se présente sous la forme d'une pâte fermentée, dont la caractéristique principale est une forte teneur en protéines, avec un goût très fort et très salé. On en trouve de couleur beige, jaune pâle, ou brun chocolat et la texture de la pâte rappelle le beurre de noix d'arachide. On fabrique le miso à l'aide des ingrédients suivants: Des graines de soja (haricots ou fèves de soja), le double du poids de ces graines en riz ou en orge, une forte quantité de sel marin et d'eau ainsi qu'un ferment appelé koji (mélange de blé ou de riz inoculé avec le koji-kin, un champignon). Le processus de fermentation est important et peut durer entre quelques semaines et … trois années, selon la variété de miso recherchée.

L'origine du miso viendrait du hishio (sauces de marinades de poissons ou de viandes salées). Des poèmes japonais parlaient déjà de hishio faits de viandes de gibier ou bien de crabe, avant même que ne débutent les relations commerciales entre la Chine et le pays du soleil levant. Et puis, les Japonais découvrirent un jour l'écriture chinoise et prirent l'habitude d'écrire à leur manière le caractère hishio (qui désignait en Chine une pâte de soja fermentée). Ce soja va peu à peu remplacer les matières animales, notamment à cause de l'influence du bouddhisme à partir du VI ème siècle: Cette religion instaure en effet le principe du respect de la vie et encourage le végétarisme bouddhique comme pratique alimentaire. Le VIII ème siècle laisse apparaître plusieurs hishios: Le hishio de riz, le misho, le miso...dont certains sont fabriqués selon des recettes chinoises. Peu à peu le Japon va développer un miso d'une texture et d'une saveur très différentes des produits chinois. Et donnera lieu, durant l'ère Heian, à l'apparition d'une graphie nouvelle pour décrire en japonais ce produit. Durant ce même siècle, la cour impériale japonaise possédait déjà un ministre chargé de la sécurité alimentaire dans laquelle le miso occupait une place prépondérante. On utilisait même le miso comme élément de salaire des agents gouvernementaux, au même titre que le riz, le sel, le soja ou autres graines. Le récit épique « Le Dit du Genji » décrivait les mœurs de la cour Heian et indique que les grands banquets nocturnes comportaient sept services (parmi lesquels on trouvait du miso d'ormeau, du hishio de vivaneau rouge, des melons uri, ou des aubergines marinées dans du miso). De toute évidence, on utilisait déjà largement ces deux condiments dans la cuisine de l'époque.

 


 


Durant l'ère Kamakura, le miso devient un aliment de base pour les Japonais. Et le moine bouddhiste, Kakushin, de rapporter de Chine une nouvelle recette de miso, qu'il avait découvert au Temple de la Montagne d'Or Kinsanji, alors qu'il séjournait dans la province du Jiangsu. Ce moine ayant ensuite vécu dans la préfecture de Wakayama, permit à Yuasa de devenir l'endroit où l'on fabriqua le miso Kinsanji. Il faut aimer le salé pour consommer un tel aliment car certains misos sont plus salés que certains fromages bleus. On peut donc l'utiliser comme assaisonnement ou comme base dans les soupes (comme ce fameux potage nippon misoshiru), comme base pour confectionner des bouillons et des sauces, comme élément entrant dans la composition de plats cuisinés, comme condiment, dans les entrées froides par exemple, comme le concombre ou le chikuwa fourré au miso. Il s'apprête très aisément, et remplace avantageusement le sel de table, la moutarde, le jus de viande, le concentré de tomate ou bien les fromages à pâte molle. De nombreux Japonais débutent la journée en avalant par exemple une soupe au miso (un aliment dont on estimait déjà la production à 580 000 tonnes en 1995).

Il existe au Japon des dizaines de variétés de miso. Pour les connaisseurs, les miso traditionnels sont ceux qui offrent les saveurs les plus délicates et sont fabriqués selon des règles précises: L'affinage dure au minimum six mois, la fermentation se fait à température ambiante, les graines de soja sont entières et on n'utilise ni additifs, ni pasteurisation. Le miso meilleur marché réduit souvent la durée d'affinage, fait usage de la pasteurisation et utilise colorants, édulcorants, vitamines et glutamate monosodique.

Deux fermentations sont nécessaires avant d'obtenir la pâte de miso: Il faut d'abord ensemencer les céréales avec des moisissures afin d'obtenir le koji. Puis, on mélangera ce koji avec des graines de soja cuites, ce qui provoquera une fermentation sous l'influence des bactéries lactiques et des levures. La première fermentation se fait à l'air libre dans une pièce chaude et humide mais bien aérée. La seconde fermentation aura lieu en cuve (à une température de 25-30°), à l'issue du mélange de koji et des graines de soja. On obtiendra ainsi la pâte de miso. La qualité du miso varie en fonction de ce qu'on met dedans, du temps et du soin mis à sa fabrication. Sa fabrication s'apparente même, dit-on, à celle des fromages et des vins en Europe. Et l'on distingue plusieurs classifications courantes de miso: Le miso de riz, le miso rouge, le miso d'orge et le miso de soja.

 


 


 

Mais au fait, le miso est-il plus un condiment qu'un aliment ou davantage un aliment qu'un condiment? Il contient en tous cas tous les acides aminés essentiels , est riche en vitamines du complexe B et riche aussi en lactobacilles. De plus, il contient plus d'une cinquantaine d'enzymes alimentaires (à condition de ne pas avoir été pasteurisé). A ce titre, le miso peut être considéré comme un aliment à part entière. Par contre, son goût fort et salé le fait davantage apparaître comme un condiment (comme ces concentrés de poulet ou de bœuf, ou encore ces fromages bleus utilisés dans la préparation de soupes ou de sauces...). Côté santé, beaucoup de personnes sont partagées sur la question: La graine de soja est peu utilisée à l'état cru à cause de la présence de facteurs antinutritionnels mais aussi allergènes sans oublier l'existence d'isoflavones pouvant influer sur la santé humaine. Quant à l'effet bénéfique du soja sur la diminution des risques cardio-vasculaires, là encore, les avis sont partagés. Affaire à suivre...

 

 


 


C'est en train que je me rends à Maruya Hatcho Miso, producteur de miso depuis...1337! J'arrive en gare d'Okazaki, puis emprunte un autre train qui m'emmène à la gare Naka Okazaki. L'entreprise se trouve juste à côté de la gare. Ce producteur doit son nom à la proximité du pouvoir alors établi par le premier shogun du pays, Ieyasu Tokugawa. Sa résidence était en effet le château d'Okazaki situé non loin de là. « Hatcho » (le chiffre huit en japonais) signifiait que l'entreprise se situait à huit blocs de maisons du château. Cette marque est peut être la plus ancienne et la plus renommée du Japon. Depuis ses débuts, Maruya Hatcho Miso ne souffrit que lors de la seconde guerre mondiale, lorsque l'armée impériale japonaise demanda à l'entreprise de réduire sa consommation de graines de soja (et donc la qualité de sa production), ce que l'entreprise refusa. La visite (gratuite) est assurée par un guide (en photo ci-dessous) qui nous apprend qu'il existe à la base deux types de miso: Le miso blanc (shiromiso), moins dense et utilisé en cuisine, et l'akamiso, fait uniquement de soja, et davantage populaire dans la région du Chubu. Des petits sachets de miso nous sont montrés pour juger de la différence de texture et de densité de l'un et l'autre type de produit. Des graines de soja nous sont aussi présentées (en photo ci-dessus). Je découvre que Hatcho miso (du nom de l'usine) est une variété d'akamiso, renommée pour la richesse de son goût, la finesse de sa texture et qui contient seulement 5-12% de sel (contre 18% pour les autres types de miso). Maruya Hatcho miso ne fabrique que des produits issus de la fermentation. La région de Mikawa dans laquelle nous nous trouvons est le coin idéal pour la production de tels produits à base de soja: Ses étés sont longs et humides, et ses hivers, courts et doux. La température jouant un rôle primordiale dans le processus de fermentation, ce climat convient très bien au soja.

Notre guide aborde le procédé de fabrication et nous explique que celle-ci n'utilise que le savoir-faire traditionnel: On cuit à l'étuvée les graines de soja avant de les écraser puis de les saupoudrer de koji. Ce sont environ six tonnes de ce mélange qui sont ensuite entreposées dans de grands baquets en bois de cèdres (ci-dessus), avec un mélange de sel marin et d'eau. La plupart de ces baquets sont centenaires. Une fois rempli de ce mélange, chaque baquet est fermé à l'aide d'un couvercle puis lesté minutieusement avec des grosses pierres de rivière (l'équivalent en poids de 4 tonnes), soit en moyenne 600 pierres par baquet qui sont disposées en forme pyramidale. Ce poids va compresser le mélange et chasser ainsi le surcroit d'eau et de sel contenu dans celui-ci. Mais pourquoi poser un tel poids sur le baquet? D'abord, une telle masse permet de préserver le baquet et son contenu en cas de tremblement de terre (et d'éviter qu'il se renverse). Ensuite, un tel poids garantit une pression régulière sur toute la surface du baquet et du mélange, ce qui permettra d'obtenir un miso d'une consistance irréprochable.

 


 


Maruya Hatcho Miso produit ainsi l'une des plus anciennes variétés de miso au Japon, et ce, depuis plus de 600 ans. Ses clients sont l'armée impériale, mais aussi des aventuriers et des expéditions qui partent avec, dans leurs bagages leur ration de miso qui leur garantira les protéines nécessaires. Après cinquante années de recherches, on a remarqué que ce miso à faible densité de sel était efficace dans la prévention du cancer et contre les effets des radiations. Suite à l'accident nucléaire de Tchernobyl en 1986, de grosses quantités de miso furent par exemple exportées en Russie pour les populations locales.

 

Après cette visite culturelle qui ne dura qu'une trentaine de minutes, j'ai envie de découvrir la résidence de Ieyasu Tokugawa. A pied, il ne me faudra qu'une vingtaine de minutes afin d'accéder au parc d'Okazaki (ci-dessous). Le temps ensoleillé a poussé les gens dehors et j'assiste à la promenade des uns dans les allées du parc, et aux pique-niques des autres, le long de la rivière. Certains visiteurs trouvent un peu de frais sur les rives fleuries de l'étang. Les cerisiers ont certes perdu leurs belles couleurs mais pas la glycine qui démarre sa floraison en ce mois de mai. Le parc possède une glycine impressionnante, qu'on surnomme ici « Gomangoku Fuji »(deuxième photo ci-dessous): De nombreuses familles sont venues passer quelques instants sous cette galerie fleurie d'une surface de 1300 m². Deux glycines s'épanouissent dans ce parc depuis maintenant fort longtemps et étalent généreusement leurs branches (jusqu'à 11 mètres de long!) pour former un treillis fleuri à cette époque de l'année. Certaines fleurs de glycines peuvent d'ailleurs mesurer jusqu'à ...un mètre de long!

 



 

Je marche jusqu'au château (ci-dessous) où l'on fait la queue pour les visites. Ce château aurait été bâti à cet endroit vers 1455 par la famille Saigo. Au cours de la première moitié du XVI ème siècle, cette famille le cédera à Matsudaira Kiyoyasu, septième seigneur de la famille Matsudaira (et grand-père de Ieyasu) qui accroissait son pouvoir dans la partie nord de la région de Mikawa. Les recherches actuelles prétendent qu'un premier château aurait été bâti à Myodaiji (Okazaki) durant la première moitié du XV ème siècle, château que Kikoyasu Matsudaira aurait fait démonter puis reconstruire sur le site actuel en 1531. Tanaka Yoshimasa, alors seigneur des lieux en 1590, entreprit d'entourer l'enceinte avec des douves tandis que le seigneur suivant, Honda Yasunori, agrandira l'ensemble. Durant 300 ans, la citadelle fut le témoin de l'accession au pouvoir de Ieyasu Tokugawa, et fut successivement gardé par des vassaux héréditaires, tout en servant de point stratégique sur la route de Tokaido. Lors de la période Meiji, et de l'abolition des clans féodaux en 1873, on le démolit en ne préservant que le rempart et les douves. C'est en 1959 qu'il fut rebâti tel qu'on peut l'admirer désormais.

 

 


 


 

A côté du château, j'aperçois un temple, puis divers autres bâtiments dont un qui offre de déguster le thé. Une stèle de pierre discrète s'élève à proximité en mémoire d'Alamo (ci-dessous). Le géographe japonais, Shigetaka Shiga est à l'origine de cette intiative, lui, l'enfant d'Okazaki qui se passionna pour la bataille d'Alamo qui eut lieu durant la guerre d'indépendance du Texas (1835 à 1838). Guerre à laquelle il trouvait des similitudes avec celle de Nagashino au Japon (qui mit en présence, en 1575, les forces des clans Oda et Tokugawa face à celles du clan Takeda, à Nagashino, dans la province de Mikawa). Shigetaka Shiga se souvenait qu'à la bataille d'Alamo, James Bonham, un soldat américain avait réussi à se faufiler du fort pour demander des renforts extérieurs. Tout comme lui, Suneemon Torii, guerrier des forces alliées japonaises s'était, lui aussi, échappé du château assiégé de Nagashino et avait réussi à obtenir des renforts du shogun okugawa. Cette stèle a été faite avec de la pierre de la région.

 

 


 


Au départ, je partais avec l'idée de visiter le musée d'histoire de Ieyasu Tokugawa mais les photos n'étant pas autorisées, j'ai revu mes plans. Juste en face de ce musée se dresse un petit théâtre japonais où des gens se pressent en ce début d'après-midi. Un concert de koto daisho va être donné sous peu par l'ensemble Ayanokai de la ville d'Okazaki (ci-dessous). Dix huit morceaux sont apparemment au programme de ces deux heures de concert auxquelles je n'assisterai que durant quelques instants. Là encore, on est entre soi (j'entends par là que les informations ne sont rédigées qu'en japonais) et je suis d'ailleurs le seul étranger en vue. Une fois de plus. Pour la petite histoire, le taisho koto est un instrument à cordes pincées indien de la famille des cithares. Il ressemble à une épinette des Vosges et on le rencontre ici, au Japon, où il est souvent utilisé comme instrument pédagogique. L'instrument possède une caisse de résonance rectangulaire et les cordes qui y sont tendues sont de calibre très fin. Un clavier permet de varier la hauteur des notes en les raccourcissant. Cet instrument rare offre un son ténu qui est amplifié (comme aujourd'hui) électriquement.

 


 


 

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