Vendredi 14 juin 2013
J'embarque ce jeudi midi pour me rendre à Saint-Domingue, la capitale de la République dominicaine. Cette ville est située sur la côte sud de l'île d'Hispaniola que cette république partage avec Haïti (localisé au nord). Fondée de 1496 à 1502, Saint Domingue demeure le plus ancien peuplement européen des Amériques et correspond également au premier pouvoir espagnol dans le Nouveau monde. Mon voyage en avion sera long car nous atterrirons d'abord à Punta Cana avant de redécoller une heure plus tard pour la capitale. Vingt minutes de vol seulement séparent les deux villes. Saint Domingue tire son nom de Saint Dominique de Guzman, fondateur de l'ordre dominicain (en peinture ci-dessous) même si l'endroit porta d'abord la nom de Nueva Isabela en l'honneur de la Reine Isabelle de Castille. C'est en 1502, après sa destruction par un cyclone que la ville prendra ensuite le nom de Santo Domingo de Guzman. De 1936 à 1961, elle portera aussi le nom de Ciudad Trujillo, en l'honneur du dictateur Rafael Trujillo qui menait le pays à cette époque. Une première colonie, La Navidad, s'installa dans le nord de l'île quelques mois après l'arrivée de Christophe Colomb à la fin de l'année 1492, mais fut rapidement massacrée par les Indiens Taïnos. Une deuxième colonie, La Isabela, fut envoyée toujours au nord, mais souffrit des conditions de vie médiocres sur place. On pensa alors bâtir une autre ville au sud de l'île. C'est Bartholomeo Colomb, le frère cadet de Christophe, qui prit l'initiative d'ériger celle-ci en 1496 sur la rive orientale du fleuve Ozama. En 1502, un cyclone ravagera cette première cité construite essentiellement de maisons en bois et bientôt rebâtie sur l'autre rive du même fleuve, par Nicolas de Ovando, le gouverneur de l'époque. Le plan en damier de cette nouvelle ville (appelée zone coloniale) est à l'origine de la plupart des villes du Nouveau monde. En 1508, Santo Domingo acquiert son statut de ville grâce au roi d'Espagne, Ferdinand II d'Aragon, qui lui accorde ses armes. L'endroit devient ainsi le siège de la vice-royauté des Amériques. 1511 voit la création d'un premier tribunal. Diego Colomb, le fils de l'amiral Christophe Colomb, installe sa première cour de vice-roi et gouverneur des Indes au bord du fleuve Ozama dans ce qu'on appelle aujourd'hui le Palais de Colomb (deuxième photo ci-dessous). Je consacrerai un article prochainement sur ce Palais désormais transformé en musée.


Ce vendredi, je pars me promener tôt dans cette zone coloniale afin d'y découvrir ses secrets. J'emprunte bientôt la première rue piétonnière du genre dans la ville, la Calle de Conde (ci-dessous): Cette rue est à la fois synonyme de tradition et d'avant-garde car elle a su s'adapter à l'air du temps en fonction des évènements. Elle fut aussi la première voie goudronnée de la cité au début du XX ème siècle. Bien que des guides touristiques locaux m'abordent régulièrement, je m'y sens en sécurité car les actes de malveillance jadis nombreux ont obligé les autorités à réagir afin de garantir une plus grande quiétude aux visiteurs de passage. Le bâtiment Baquero désormais délabré (deuxième photo ci-dessous) fut le premier édifice de la ville à posséder un ascenseur. Le rez-de-chaussée sera tour à tour occupé par un magasin avec des rayons dont les noms figuraient alors en lettres de céramique, puis une agence de la First National Bank dans les années soixante. La porte Conde (troisième photo) délimitait la vieille ville, c'est à dire cette zone coloniale, cœur historique de la ville de Saint Domingue, zone qui a été depuis inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco. L'origine de ce quartier remonte au XVI ème siècle, lorsque la ville fut reconstruite sur la rive ouest du fleuve par Nicolas de Ovando. Pour protéger la ville de l'assaut des pirates, on construit la forteresse d'Ozama (quatrième photo) de 1502 à 1507. Cette première construction militaire des Amériques est un ensemble monumental constitué de la Tour de l'Hommage (d'une hauteur de 18,5 mètres), d'une poudrière (datant de l 'époque de Carlos III, durant la deuxième moitié du XVIII ème), mais aussi d'un fort primitif (fort de Santiago), d'une plateforme de tir avec ses canons et des murailles. J'accède à cette forteresse par la Porte Carlos III qui date de 1787. La Tour de l'Hommage n'a jamais été modifiée depuis sa construction et l'on retrouve sur place les mêmes murs épais, les mêmes ouvertures qu'autrefois. Don Gonzalez Fernandez de Oviedo, célèbre premier chroniqueur des Amériques y mourut en 1557. C'est lui qui écrivit en 1535 la Historia general y natural de las Indias et l'on peut aujourd'hui admirer sa statut dans l'enceinte. Cette tour crénelée servit de lieu d'incarcération pour les prisonniers politiques sous le régime de Rafael Trujillo. Le fort Santiago, lui, n'offre plus que quelques ruines entourées de canons.



Saint Dominique était le fondateur de l'ordre des prêcheurs. Connu sous le nom d'ordre dominicain, cet ordre catholique est né sous l'impulsion de cet homme en 1215. Suivant la règle de Saint Augustin, ainsi que ses propres Constitutions, en partie inspirées de l'ordre des Prémontrés (ou Norbertins), il s'est donné pour mission l'apostolat et la contemplation. En septembre 1510, l'ordre débarque sur l'île Hispaniola avec quatre hommes: Frère Pierre de Cordoue, Frère Dominique, Frère Antonio de Montesino et Frère Bernard de Saint Domingue. Ces hommes prennent très tôt, et malgré les menaces, la défense des indigènes devenus esclaves. Ils défendront non seulement la dignité de ces êtres humains mais aussi le droit théologique et la pensée politique contemporaine. Ils ouvrirent ainsi un couvent à Puerto Plata, le couvent du martyr Saint Pierre, puis envoyèrent une mission sur l'île de Cuba puis en Jamaïque. Et évangéliseront des régions non encore soumises aux conquistadors (comme Puerto Rico, puis le Mexique, le Guatemala l'Amérique centrale et le Pérou). De nos jours, ils laissent un couvent, celui des Dominicains et lieu de la première université des Amériques créée en 1538 (ci-dessous). L'ordre dominicain promulguera ainsi les premières lois en faveur des Indiens, en demandant par exemple l'interdiction du travail dans les mines pour les enfants et les femmes enceintes de quatre mois. Je visite ce couvent qui comporte une église et un jardin intérieur. Des fragments de sculptures en pierre furent retrouvés il y a quelques années. On pense que ces morceaux d'anges, de têtes de chérubins, de torses humains ou de colonnes proviennent de la première chapelle du Rosaire qui fut jadis détruite par un séisme. Le lieu ne m'offre que peu d'information sur cette église par ailleurs peu mise en valeur (pas ou peu de lumière) mais me servira d'abri durant le passage d'une ondée. La chapelle de Sainte Anne (deuxième photo) est remarquable et se mêle à l'architecture qui comporte un mélange de styles gothique, roman et flamboyant.


Sur la petite place qui jouxte le couvent des Dominicains, j'aperçois au passage la statue de Juan Pablo Duarte (ci-dessous) qui fonda la République dominicaine. Activiste politique et indépendantiste, il est l'un des trois pères de cette patrie. La société secrète et dissidente qu'il créera le 16 juillet 1838 aura pour but de mettre sur pied une République dominicaine indépendante. Dans les années 1840, la situation empire et le ressentiment à l'encontre du président haïtien, Jean Pierre Boyer, l'envahisseur, mais aussi le tremblement de terre de 1842 ne font qu'augmenter les tensions. Le 27 février 1844, la garnison de l'occupant haïtien à Saint Domingue est vaincue et la première république dominicaine voit le jour. Juan Pablo Duarte rentre alors de son exil et en devient le président tout en organisant aussitôt des élections libres. Mais son opposant, Pedro Santana, homme sans scrupules, s'empare du pouvoir en obligeant les trois autres dirigeants à s'exiler. Juan Pablo Duarte partira ainsi pour le Venezuela où il s'éteindra en 1876.
A deux pas de là, j'observe un bâtiment ancien qui arbore les drapeaux dominicain et français. Je pénètre à l'intérieur et découvre qu'il s'agit de la guest-house « El Beaterio » (deuxième photo). Ce petit établissement ne dispose que de onze chambres mais offre un cadre ravissant, rafraichissant et reposant. De plus le personnel est charmant et me fait visiter l'endroit. Voilà une bonne adresse où descendre à Saint Domingue! (voir infos pratiques). Cette auberge était autrefois un couvent de sœurs, les sœurs Béates (d'où le nom actuel de l'établissement!). Cette maison coloniale du début du XVI ème siècle est située au coeur du quartier colonial de la ville. Classé patrimoine culturel mondial par l'Unesco, le bâtiment fut légué pour la fondation d'un « beaterio » par la veuve Dona Maria de Arana avant son départ pour l'Espagne en 1556. Durant des siècles, cette enceinte de pierre a vu fleurir une communauté de «Béates » qui avaient choisi de se retirer de la vie quotidienne pour suivre un parcours mystique et spirituel dans un environnement monacal. Suite à l'émergence des ordres religieux féminins, de nombreuses sœurs béates optèrent pour le couvent et cet endroit tomba peu à peu dans l'oubli. Plus tard, une école privée s'y installera jusque dans les années 80. La maison, une fois complètement transformée, devint ensuite le refuge que l'on connait désormais.


La cathédrale de Saint Domingue est un lieu incontournable de la visite de cette fameuse zone coloniale (ci-dessous). Cette cathédrale Notre Dame de l'Incarnation est le premier édifice de ce type qui fut bâti par les Espagnols au début du XVI ème siècle dans les Amériques. Celle-ci fut consacrée par le Pape Jules II mais cette première construction était en bois avec un toit recouvert de feuilles de palme, et un sol en terre battue. La première pierre de l'édifice définitif sera posée en 1514 mais les travaux, prolongés jusqu'en 1535 ne seront jamais achevés, puisque, faute d'argent, le clocher prévu ne sera jamais construit. Consacrée en 1541, le lieu de culte deviendra cathédrale métropolitaine à la demande de Charles Quint. Le corsaire anglais Francis Drake s'en servira également comme quartier général en 1586, lorsqu'il pillera Saint Domingue. Extérieurement, on remarque que cette cathédrale est édifiée en pierre calcaire et offre l'apparence d'un édifice de style plateresque tout en affichant des lignes mauresques dans la pure tradition espagnole. Plus large que haute, elle offre un aspect trapu. La façade accueille des blasons et des emblèmes de la famille royale castillane ainsi que des bustes d'évangélistes. Le portail principal, lui, offre une porte énorme de 2,5 tonnes. A l'intérieur, le sol est fait de briques, et la cathédrale s'ouvre sur trois nefs à voûtes d'ogive, le tout étant dépourvu de transept. L'endroit compte 14 chapelles parmi lesquelles la Chapelle de la Vierge des douleurs (deuxième photo ci-dessous): Celle-ci, achevée vers 1540 est l'une des toutes premières chapelles érigées dans la cathédrale. Elle est surmontée d'une voûte à nervures. Le retable baroque est dédié à la Vierge des sept douleurs. L'archevêque Tomas de Portes Infante est enterré à cet endroit, tout comme d'autres personnalités. En 1650, la même chapelle eut pour patron titulaire l'archange Saint Michel et le lieu renferme une remarquable sculpture du saint, en bois polychrome (XVII ème).


Autre pièce remarquable, et unique en République dominicaine: Le retable de la Sainte Relique (ci-dessous). Réalisé en bois d'acajou sculpté, doré et polychrome, il possède des caractéristiques du baroque. Il comporte également deux grandes colonnes torsadées et couronnées de chapiteaux corinthiens. Au centre, entre deux petits pilastres, est encastré un reliquaire à deux portes qui se termine par un arc en forme d'anse de panier où est conservée une réplique de la croix en bois de néflier du Santo Cerro de la Vega. Dans une niche située au-dessus du tabernacle, on trouve la statue de Saint Norbert, le fondateur de l'ordre des Prémontrés. Celle-ci fut apportée par le frère Juan de Galavis, alors évêque de Saint Domingue de 1729 à 1737. La chapelle du maitre autel, elle, ainsi que le presbytérium (deuxième photo ci-dessous) fut la première chapelle construite (en 1524) dans cette cathédrale. Elle est de style gothique et est ornée de cinq grandes fenêtres et d'une splendide voûte à tiercerons avec des médaillons de pierre sculptée dans les clefs (celui du centre représente un agneau, l'emblème du Christ sacrifié). Le grand retable fut conçu vers 1684 , est composé de trois corps et de douze colonnes, et occupe le centre de l'abside. Les vitraux modernes sont l'œuvre de l'artiste dominicain, José Rincon Mora et furent offerts à la cathédrale par le Cardinal de Munich, Friedrich Wetter. Une statue de la Vierge à l'Enfant, en bois polychrome (XVI ème siècle) est la sculpture la plus ancienne et la plus remarquable de l'endroit. Elle fut exécutée par Jéronimo Hernandez, Grand maitre de l'école baroque sévillane. Dans les corps latéraux séparés par des moulures se trouvent les portraits des quatre ordres religieux, les pionniers de l'évangélisation du Nouveau Monde, œuvre du peintre dominicain Juan Médina. La partie inférieure offre les armoiries de Son Excellence Monseigneur le Cardinal Lopez Rodriguez, Archevêque Primat des Amériques, celles de l'évêque Alejandro Geraldini et celles de l'évêque Alonso de FuenMayor, premier archevêque de Saint Domingue. Sous le presbytérium se trouve une crypte où reposent les dépouilles de centaines de serviteurs de l'église, de fonctionnaires et de personnages illustres de la colonie et de l'époque républicaine. On y trouve les tombeaux des cardinaux et des évêques, des amiraux et des descendants de la famille de Christophe Colomb. Lui-même est enterré ici ainsi que son fils, le vice-roi Diego Colomb.


INFOS PRATIQUES:
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Forteresse de Saint Domingue, Zone coloniale, rue Las Damas à Saint Domingue. Ouverte du mardi au dimanche de 9h00 à 17hOO. Droit d'entrée: 70 pesos (les billets sont en vente dans un petit bureau situé à gauche après avoir franchi la porte d'enceinte).
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Couvent des Dominicains, rue Padre Billini à Saint Domingue. Ouvert de 8h30 à 12h30 et de 15h00 à 18h00. Droit d'entrée: 150 pesos (audio guide inclus et disponible en français, anglais, espagnol, allemand).
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Guest-House « El Beaterio », Calle Duarte 8 ( dans la zone coloniale) à Saint Domingue. Tel: 1(809) 687 8657. Site internet: http://www.elbeaterio.fr
Onze chambres d'une personne (75 US$ la nuit avec petit déjeuner inclus), 2 personnes (100 US$), 3 personnes (130 US$) ou 4 personnes (150 US$). Wifi disponible.
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Guide local officiel touristique, Juan Sanchez, joignable au 809 903 5849. Visites assurées en espagnol et en anglais. Emèl: juantours6@hotmail.com
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Cathédrale de Saint Domingue, Place de Colon à Saint Domingue. Tel: 1 809 685 2302. Ouverte à partir de 9h00 le matin jusqu'à 16h30 du lundi au samedi (aucune visite n'est autorisée durant les services religieux). Entrée: 40 pesos (avec l'audio guide disponible en anglais, français, espagnol allemand et russe)
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Office du tourisme de la République dominicaine: http://www.godominicanrepublic.com/rd/?lang=fr&idioma=1
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D'autres photos de cette visite sont disponibles sur Médiathèque-->Album Amérique du Sud
