Mardi 4 février 2014
Les îles Ryukyus possèdent une culture unique et riche. Le musée préfectoral d'Okinawa m'offre aujourd'hui la possibilité d'aborder quelques thèmes touchant au folklore de cette partie du monde. Les habitants des Ryukyus pensent que les dieux viennent d'au-delà des mers. Autrefois, tout avait une signification : La localisation des villages était choisie avec le plus grand soin, et l'on croyait aux corps célestes, et à l'influence des conditions météorologiques sur les comportements humains. Bref, on vivait proche de la nature.
Le village traditionnel d'Okinawa possède tout le temps un utaki : ce terme okinawaien désigne un endroit sacré, un lieu où l'on vénère dieux et ancêtres. Il prend la forme d'une petite clairière dans un bosquet très dense. L'ibi est la partie centrale à l'intérieur de ce lieu, contenant des pierres (marqueurs de l'endroit où résident les kami) autour desquelles on va brûler de l'encens. Ce sont les femmes qui conduisent les cérémonies rituelles, et on les appelle Kaminchu. La prééminence des femmes dans le domaine religieux est peut être la caractéristique la plus notable de la culture d'Okinawa et leur croyance dans l'unai-gami (pouvoir de protection spirituelle). L'un des traits les plus originaux du royaume de Ryukyu est son système de prêtresses responsables de la conduite des cérémonies religieuses, depuis le sommet de l'Etat jusqu'au simple village. Il existait une hiérarchie parmi ces prêtresses, avec le kikoe-ogimi au niveau le plus élevé et les noro dans les villages. Les prêtresses rassemblées autour de la kikoe-ogimi étaient tout particulièrement responsables des rites pour la paix et la prospérité du pays célébré, dans des lieux comme par exemple l'utaki. Les noro étaient nommées par ordonnance royale. On leur attribuait avec leur charge une parcelle de terre suffisante pour leur assurer la subsistance. Elles avaient en quelque sorte le statut de fonctionnaires régionaux. Entourées d'officiantes locales, elles dirigeaient les cérémonies villageoises organisées dans les utaki pour l'obtention de récoltes abondantes. A Okinawa, existait aussi une sorte de chamanes, les yuta, dont le rôle était très important dans la religion populaire, mais ces femmes répondaient à des demandes individuelles et leur réputation parfois sulfureuse suscitait la méfiance du pouvoir royal.Pour parler d'utaki, sur les îles de Miyako et de Yaeyama, on utilisera respectivement le terme de suku et on au lieu d'utaki, mais la destination du lieu reste identique. L'utaki est généralement situé à la périphérie d'un village. Les gusuku (forteresses), elles aussi en possède un. Et l'on pense d'ailleurs que les origines de ces forteresses et des utaki sont peut être liées. A Okinawa, seules les femmes peuvent pénétrer dans l'utaki, alors qu'au Japon, c'est le contraire : seuls les hommes ont le droit d'entrer dans les lieux sacrés car les femmes sont réputées impures à cause de leurs menstrues.
Ces dieux qui franchiraient les mers pour venir bénir les habitants des Ryukyus sont surnommés miruku (en photo ci-dessous). On les voit défiler lors des fêtes annuelles ou dans le parc d'attractions Ryukyu Mura, à Onna. Les gens déguisés en miruku pour la circonstance portent un costume qui comprend un masque. Ils s'en vont rendre visite aux spectateurs puis s'en retournent comme ils étaient venus. Ils représentent les esprits des disparus, Guso, et sont présents notamment lors de la fête Bon, festival bouddhiste japonais, qui honore les esprits des ancêtres. O-Bon existe depuis plus de 500 ans et fut importé de Chine (où on l'appelle la fête des fantômes). Le Japon adapta cette fête aux coutumes du Nouvel An. Pour l'occasion, on accueille non seulement les ancêtres mais aussi Sai-no-kami, le dieu des chemins, et la fête dure généralement un mois (contre quelques jours seulement en Chine). Bon est le moment où on se remémore et ou on remercie les ancêtres de leurs sacrifices. Dans le calendrier, l'évènement se tient durant le mois des fantômes, c'est à dire la seule période durant laquelle les morts peuvent retourner sur terre.
Durant le septième mois du calendrier luni-solaire, certains villages du nord d'Okinawa organisent une fête appelée unjami, au cours de laquelle les kami sont supposés venir s'incarner dans les prêtresses pour recevoir les remerciements des habitants pour l'abondance des récoltes, puis être sollicité pour l'année suivante. La fête s'achève par un rite de renvoi des kami par delà la mer. Les kami (dieux) visiteurs sont différents de ceux qui résident dans les utaki. La région de Yaeyama offre un rite qui les met en scène : ce rite est appelé akamata-kuromata, et coïncide avec la fête marquant la fin de la récolte du riz. Les kami portent des masques et un déguisement végétal qui recouvre entièrement le corps des hommes (les seules personnes à pouvoir incarner ces kami). Lors de leur traversée du village, ils sont accueillis par les habitants de chaque maison, puis raccompagnés par eux sur le chemin du retour.
Je m'arrête un instant devant un palanquin, appelé Gan, et utilisé pour transporter les défunts jusqu'à sa tombe. Ce qui surprend à Okinawa, c'est la taille démesurée de certaines d'entre elles (photo ci-dessous). Celles-ci étant souvent la propriété du munchu (groupement ayant pour unique fonction d'assurer le culte des ancêtres), il est essentiel que les tombes soient suffisamment vastes pour accueillir le nombre important de membres que comptent ces groupements familiaux. La seconde raison est qu'avant la crémation des corps (pratiquée à Okinawa que depuis la fin de la seconde guerre mondiale), le défunt était placé dans un cercueil que l'on introduisait entièrement dans la chambre tombale. Au bout de trois ans, les restes du cadavre étaient sortis dans la cour-jardin sur le devant de la sépulture, et l'on nettoyait ses ossements. Il était donc indispensable de prévoir un espace assez étendu pour l'entreposage éventuel simultané de plusieurs cercueils.
Les îles Ryukyu constituent un pays maritime, qui vit de la mer et en lien étroit avec elle. On y pratique bien sûr l'agriculture mais aussi la pêche. L'homme des îles ramassa d'abord les coquillages, puis pêcha le poulpe et les algues dans les eaux peu profondes. Puis, il partit en mer à la recherche du poisson. Plusieurs techniques de capture du poisson existent dont le piège nagaki, consistant à élever de petits murets dans les eaux peu profondes et à placer des filets devant les trous de ces murs pour que le poisson s'y engouffre (ci-dessous). Les femmes sont à cette époque très actives dans le milieu de la pêche, et cueillent les algues ou relèvent les pièges posés. Le bateau traditionnel de pêche s'appelle sabani. Construit en bois de pin ou de cèdre, cette embarcation servait non seulement à la pêche mais aussi au transport.
L'exposition que je visite permet d'admirer la reconstitution des pièces grandeur nature d'une maison typique ryukyu . Celle-ci était souvent construite face au sud. Un petit muret de pierre (hinpun) est aussi placé entre la porte et le bâtiment principal. On trouve une pièce pour les amis (ichibanza), une autre pour recevoir l'altar (nibanza), les pièces réservées à la famille (uraza) et la cuisine. L'avant-toit, appelé amahaji (petit coup de pluie) créé une ombre salutaire par temps de forte chaleur. La cour devant la maison sert à travailler mais également à se divertir. A l'est de la demeure, une annexe accueille le puits et la grange, elle-même reliée à l'étable située côté ouest. En ce qui concerne la porcherie, elle est en retrait de l'habitation, au nord-ouest, et jouxte un potager.
L'artisanat tient une place importante dans les îles ryukyus. Et les techniques traditionnelles occupent toujours une grande place. Sur ces îles, il fait souvent très chaud et humide. On tisse donc des vêtements amples, faits à partir de feuilles ou de fibres de bananier. Ces vêtements sont portés indifféremment par les hommes et les femmes et en toutes circonstances. Il y a très longtemps, les habitants utilisaient déjà l'aubépine, l'indigo, le garcinia et autres plantes pour teindre les fibres de ces vêtements. On élevait aussi le ver à soie, dans des paniers en bambou. En cas de pluie, les anciens portaient le surunnu (en photo ci-dessous), un vêtement de pluie réalisé à partir de fibres de palmier (kuba). Le kuba appartient à ces palmiers utiles dont les fibres (ou le corps même de la plante) sont récupérés pour faire des chapeaux, des éventails, des seaux ou des louches. On faisait même usage des coraux et des coquillages.
La musique tient enfin une place importante au royaume de Ryukyu. Le sanshin (trois cordes), en photo ci-dessous, fait partie de ces instruments de musique, populaires dans les îles, lorsqu'il s'agit d'accompagner les chants traditionnels. Sa caisse de résonance est constituée d'un anneau de bois sur lequel sont tendues deux peaux de python, ce qui lui vaut d'être aussi parfois appelée shamisen. L'instrument, là encore, est dérivé du sanxian chinois. On ignore par contre sa date exacte d'introduction dans les îles, et l'on suppose qu'il y a été apporté par des immigrants chinois venus s'installer dans la seconde moitié du XIV è siècle dans le village de Kume (Naha actuel). Des chinois venus de Fujian, sur ordre de l'empereur des Ming.
Au départ, il n'y avait pas de réelle différence entre le sanshin et le sanxian et les musiciens des Ryukyu utilisaient l'instrument chinois tel quel pour s'accompagner. Il faudra attendre le début du XVIII è siècle pour que le sanshin prenne la forme que nous lui connaissons aujourd'hui, et ce, sous l'influence des luthiers royaux. Sa caisse de résonance est en effet plus ronde et plus grande, avec un manche raccourci. Une tradition populaire prétend qu'un dénommé Akainku, grand chanteur d'omoro, a été le premier à utiliser l'instrument dans le répertoire autochtone, mais cette histoire est incertaine. La véritable trace de la première musique de sanshin figure dans l'oeuvre de Tansui-Uekata, le fondateur de la « musique classique des Ryukyu ». La pratique de cet instrument concerne non seulement les classes dirigeantes mais aussi les autres classes de la population. Le sanshin faisait autrefois partie de l'enseignement dispensé aux courtisanes tout en accompagnant également les chants et danses des classes populaires.
La musique d'Okinawa est quant à elle directement influencée par la musique des divers pays comme le Japon, la Chine, l'Indonésie et la Polynésie. C'est un mélange de musiques traditionnelles, relatant la vie des peuples ruraux de l'île travaillant dans les champs de canne à sucre. On trouve encore l'ancienne musique de cour uzagaku, pratiquée avec le yaukin, instrument rare. Si vous passez par Okinawa, il vous arrivera sans doute d'entendre le sanshin accompagné du taïko, le tambour.
INFOS PRATIQUES :
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Salle d'exposition Folklore Ryukyu, dans l'exposition permanente.
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Musée préfectoral d'Okinawa, Omoromachi 3-1-1, à Naha. Tel : 098 941 8200. Ouvert tous les jours (sauf le lundi) de 9h00 à 18h00. Entrée : 400 yens. A cinq minutes de marche de la station Omoromachi (monorail). Site internet : http://www.museums.pref.okinawa.jp/english/index.html
Photos autorisées sans flash dans certains endroits indiqués. J'adresse d'ailleurs mes plus vifs remerciements à Madame le Conservateur du musée, qui m'a autorisé à prendre les photos de l'ensemble de cette exposition permanente.