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Exposition "Les Peintures à l'encre du grand escrimeur Musachi Miyamoto"
(Discovery Museum, Tokyo, Japon)
Heure locale


Vendredi 11 septembre 2015

 

Cette fois, je pars à la découverte de Musachi Miyamoto, connu aussi sous les noms de Shinmen Takezo, Miyamoto Bennosuke ou sous son nom bouddhiste, Niten Doraku. Notre personnage, jadis épéiste japonais et ronin, fait actuellement l'objet d'une exposition au Discovery Muséum de Tokyo. Cet homme, surtout connu pour ses talents d'escrimeur, était aussi un artiste : il peignit plusieurs œuvres à l'encre et c'est sous cet aspect que l'exposition d'aujourd'hui va nous le faire découvrir.

Il faut tout d'abord retenir que Miyamoto était le nom du village natal de notre homme. Et Musachi, une autre façon de lire les idéogrammes qui retranscrivaient alors « Takezo ». Figure emblématique du Japon, il sera à la fois maitre bushi (guerrier gentilhomme), philosophe, et le plus célèbre escrimeur du pays. Son nom complet, Shinmen Musachi no Kami Fujiwara no Genshin correspondait à un titre honorifique dispensé par la Cour impériale qui le rendait gouverneur de la province de Musachi (région de l'actuelle Tokyo). Fujiwara est le nom de la lignée aristocratique à laquelle il appartint. Quant à Genshin, il s'agissait d'un nom cérémoniel utilisé notamment par les samouraïs de haut rang et les nobles de cour. Il est difficile de connaître la date exacte de sa naissance. Le Livre des Cinq Anneaux indique simplement qu'il est né dans la province de Harima, précisant qu'il serait né en 1854. Son père, Muni, pratiquait les arts martiaux et était un épéiste confirmé. Il était lui-même le fils de Hirata Shogen, vassal de Shinmen Iga no Kami, alors seigneur du château de Takayama. A l'âge de sept ans, c'est à dire au moment du décès de Muni, Musachi Miyamoto sera élevé par son oncle , Dorinbo, moine dans le temple Shoreian, à quelques kilomètres d'Hirafuku. Il lui sera inculqué le bouddhisme, ainsi que des notions de base comme la lecture et l'écriture. Avant sa mort, son père l'initiera brièvement à l'épée et à la jutte, arme traditionnelle japonaise alors utilisée dans sa famille. On dit qu'un jour, Musachi se moqua de son père escrimeur et que ce dernier lui lança un couteau, que son fils esquiva de la tête. Un second couteau fut esquivé de la même manière, et le père, furieux, aurait chassé son fils du foyer familial.

 

Musachi combattit en duel puis tua pour la première fois à l'âge de treize ans. Quatre ans plus tard, il participera à la bataille de Sekigahara (en 1600), bataille qui vit la victoire de Ieyasu Tokugawa. Malheureusement, Musachi faisant partie du camp du vaincu Hideyoshi Toyotomi, fut laissé pour mort sur le champ de bataille mais survécut toutefois à ses blessures. Il participera ainsi à une soixantaine de duels jusqu'à l'âge de 29 ans. La plupart de ces duels était livré par lui à l'aide d'un sabre en bois (bokken) alors que ses adversaire disposaient de vrais sabres (nihonto). Il était si doué qu'il anéantit à lui seul la totalité de l'école d'escrime Yoshiyoka en se battant seul contre soixante combattants (voire plus selon certains témoignages) lors de l'escarmouche au pied du pin parasol du temple d'Ichijo-ji de Kyoto. C'est à cette occasion qu'il pratiqua, semble t-il, pour la première fois et sans s'en rendre compte, la technique célèbre des deux sabres, technique qu'il développera par la suite. Son duel le plus fameux aura lieu le 13 avril 1612 contre un certain Kojiro, alors plus grand escrimeur du Japon. Musachi le vainquit sur l'île de Funa grâce, pense t-on, à un long sabre de bois taillé dans une rame du bateau qui l'avait amené à cet endroit. Musachi entrera bientôt au service de la famille des Hosokawa, à titre d'invité, puis mettra alors un terme à ses duels. Aucun texte écrit par notre homme ne mentionne ses adversaires, excepté Arima Kihei, le premier d'entre eux. Musachi affrontera pourtant des personnages renommés comme par exemple Nagatsune Hachiemon, ce maître-lancier alors au service de Tokugawa Yoshiano, qui invitera Musachi à jouer une partie de Go avec son fils, pour mieux tenter de le poignarder par derrière. Musachi, bien que concentré sur son jeu s'en apercevra, et brisera son adversaire dans son élan...tout en remportant la partie de go ! Spécialiste des armes, Musachi conçut également une paire de bokken (sabres en bois) allégés et au profil plus fin. A ce jour, son sabre préféré existe toujours. Il s'agit d'un superbe objet en bois sombre, à la poignée percée d'un trou pour faire passer un pompon de soie pourpre, avec la mention suivante Jisso Enman no Bokuto. Longtemps conservé et passé de main en main, ce sabre est la preuve de la préservation du style Niten Ichi-Ryu, tel quel. Désigné trésor national, on peut désormais l'admirer au prestigieux sanctuaire de Usa-Jingu. Il faut savoir que Musachi maniait bien sûr des armes en acier. Celui-ci connaissait très bien le forgeron Izumi no Kami Kaneshige, également professeur de Kotetsu. On sait enfin que Musachi porta au cours de son existence un daisho forgé par Nagakuni.

 

On sait que Musachi était doté d'une condition physique extraordinaire, force suffisante pour trancher au sabre, et d'une seule main, les os de son adversaire. Dans un passage du Nitenki, le seigneur Nagaoka demande à Musachi de l'aider à choisir des bambous afin de faire des drapeaux. Musachi en testa alors une centaine au total pour n'en garder...qu'un. Notre homme sera plus tard chargé du commandement d'un corps d'armée du seigneur Ogasawara, participant également au siège du château de Hara, en 1638, lors de la révolte des Chrétiens menés par Shiro Amakusa.

Ce n'est qu'à la fin de sa vie que Musachi se consacrera essentiellement à des activités artistiques, conservant cependant toujours un esprit vif et une bonne partie de ses capacités physiques, ce qui lui sauvera la vie le jour où, vieillard, il fut prit dans un incendie dont il réchappera en utilisant une échelle afin de s'enfuir lestement sur un toit voisin. C'est à Kumamoto qu'il passera le restant de son existence, plus exactement près du Mont Iwato, où il se réfugiera, âgé de 59 ans, dans la grotte de Reigan-dô (la grotte du Roc-Esprit). Il y disposa une table basse puis commença, le 10 du dixième mois, à rédiger le Dorin no sho (Traité des Cinq Roues). Cet ouvrage de stratégie permit à l'auteur de méditer à la fin de sa vie sur son passé et sur son expérience. Musachi déduira ainsi que les principes qu'il avait mis en œuvre dans son art martial (pratique du duel) pouvaient aussi être mis en œuvre non seulement en stratégie militaire mais également dans tous les domaines. Les « cinq anneaux » (ou cinq roues) font référence aux cinq étages des monuments funéraires bouddhiques qui représentent les cinq éléments de la tradition japonaise. Ainsi le livre comporte t-il cinq chapitres : la Terre (Musachi y explique les grandes lignes de sa tactique, les comparant au métier de charpentier afin de rendre ses explications plus accessibles). L'eau (Musachi expose une méthode destinée à se forger soi-même, physiquement et spirituellement. Il explique comment conserver sa vigilance d'esprit, le maintien de son corps, de ses yeux,, comment tenir un sabre et comment s'en servir, comment positionner ses pieds...tout ce qu'il écrit se fonde alors sur son expérience acquise tout au long de sa vie à force de combats et d'exercices). Le Feu (Musachi y explique la tactique à appliquer dans le simple duel et lors des grandes batailles). Le Vent (en critiquant les caractéristiques des autres écoles, notre homme fait ressortir l'esprit philosophique de son école Niten). Le Vide (ce dernier chapitre est un énoncé de l'idéal du bushi. Le vide est alors comparé au firmament purifié de tous les nuages de l'égarement). A 60 ans, l'écriture par Musachi de ce Traité à Cinq Roues est en quelque sorte un testament. Deux ans plus tard, sentant sa fin approcher, l'auteur rédige Dokkodo, la Voie à suivre seul : ne pas contrevenir à la Voie immuable à travers le temps, éviter de rechercher les plaisirs du corps, être impartial en tout, n'être jamais cupide durant toute la vie, n'avoir aucun regret dans les affaires, ne jamais jalouser autrui en bien ou en mal, ne jamais être attristé par toutes séparations, n'éprouver aucune rancune ou animosité vis à vis de soi ou des autres, n'avoir aucun désir d'amour, n'avoir aucune préférence en toutes choses, ne jamais rechercher son confort, ne jamais rechercher les mets les plus fins pour contenter son corps, ne jamais s'entourer d'objets précieux à aucun moment de sa vie, ne pas reculer pour de fausses croyances, ne jamais être tenté par aucun objet autre que les armes, se consacrer entièrement à la Voie sans même craindre la mort, même vieux n'avoir jamais aucun désir de posséder ou d'utiliser des biens, vénérer les bouddhas et les divinités mais ne pas compter sur eux, ne jamais abandonner la Voie de la tactique.

 

Musachi, homme aux talents multiples, fut aussi enseignant : il fonda l'école Niten Ichi Ryu dont la branche maitresse est la Hyoho Niten Ichi Ryu (Ecole de la stratégie des deux ciels comme une Terre), dont descendent aujourd'hui toute une lignée de maîtres. Cette école de sabre fut d'abord appelée Ecole des deux sabres, puis Ecole des deux Cieux, et reste fameuse pour son style hors du commun (qui consiste en l'utilisation simultanée de deux sabres, l'un court, l'autre long). A noter que d'autres écoles portant le suffixe Niten Ichiryu n'ont rien à voir avec Musachi. L'école de Musachi transmet son expérience par sa technique et son esprit. Ses principes, au nombre de neuf, sont les suivants : éviter toute pensée perverse, se forger dans la voie en pratiquant soi-même, embrasser tous les arts et non se borner à un seul, connaître la Voie de chaque métier, et ne pas se borner à celui qu'on exerce soi-même, savoir distinguer les avantages et les inconvénients de chaque chose, en toutes choses s'habituer au jugement intuitif, connaître d'instinct ce qu'in ne voit pas, prêter attention au moindre détail et ne rien faire d'inutile.

 

Artiste, Musachi fut aussi calligraphe et peintre. L'exposition que je visite aujourd'hui fait référence à cette facette de notre personnage dont on peut toujours admirer les production de sumi-e. Les sumi-e sont en effet des peintures à l'encre représentant un mouvement de la peinture japonaise originaire de la Chine, style dominant à l'époque de Muromachi. Ce courant se caractérise par l'usage du lavis à l'encre noire, la prédominance du paysage comme sujet et la proximité avec la philosophie du bouddhisme Zen. Venue de Chine, cette technique du lavis apparaît au Japon vers le VIII ème siècle avant de s'imposer comme peinture dominante sous l'ère Muromachi sous l'influence de Zen, des célèbres paysages au lavis de la Chine des Song et de grands maîtres comme Josetsu, Shubun ou Sesshu. Le peintre de sumi-e modifie la dilution de l'encre, la position du pinceau, la force et la vitesse pour jouer sur l'épaisseur et la netteté des lignes ainsi que les niveaux de gris. Le sumi-e souffrit d'une perte de vigueur à la fin de l'ère Muromachi, marquant ainsi le retour de la peinture de genre aux couleurs éclatantes.

Les peintures de Musachi s'inspiraient quant à elles de Liang Kai et du style Kano, en vogue à cette époque. L'une de ses œuvres les plus connues est sa représentation de Daruma, le fondateur du Zen, qui aurait été loué par le seigneur Hosokawa comme pur chef-d'oeuvre. Ma visite me permettra d'admirer également une autre peinture murale, Koboku Meigeki-zu, mais aussi bien d'autres œuvres souvent classées comme biens culturels importants. On ne connait pas la date exacte à laquelle Musachi commença à se consacrer à ses activités artistiques mais on sait que ce fut au cours de la dernière période de sa vie.

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