Samedi 21 novembre 2015
Il n'est pas indispensable de s'éloigner beaucoup de Chania pour contempler la baie de Souda qui s'étend à perte de vue. Souda est une commune qui ne se trouve qu'à environ six kilomètres de Chania, une zone autrefois occupée par des marais salants. Les Ottomans ne s'y trompèrent pas, en donnant à l'endroit le nom de tuzla (marais salants). Les Turcs s'y établirent dans les années 1870 à des fins stratégiques, reconnaissant à baie de Souda tous les atouts d'un des ports naturels les plus importants de la Méditerranée. Par ailleurs, le site était facile à défendre. Cette baie fut en effet le théâtre de deux évènements historiques : la bataille de la baie de la Sude (de Souda) et le raid de la baie de la Sude.
La bataille se déroula les 14 et 15 juin 1825, entre les Grecs et les Ottomans, lors de la guerre d'indépendance grecque. Apprenant que les navires turcs et égyptiens étaient entassés de manière désordonnée dans la baie de Souda, il vint aux Grecs l'idée de les brûler, mais une goélette de l'escadre française du Levant se douta de quelque chose et alerta les Ottomans. Le 14 juin, vers midi, les Grecs, favorisés par une brise nord-est, s’avancèrent puis, après une intense canonnade, contraignirent les navires ottomans à se retirer plus profondément dans la baie. Deux brûlots incendieront une corvette de 24 canons, avec à son bord 200 hommes d'équipage (dont 15 Européens et Anglais) et un troisième brûlot se lancera au milieu de la flotte ennemie mais sera bientôt immobilisé par une chute du vent, mettant dans l'embarras l'équipage de l'embarcation, qui devra se frayer un chemin tant bien que mal entre les bateaux ottomans pour s'échapper. Neuf navires grecs seront également immobilisés par la chute du vent sous le feu du fort de l île de Souda.
Quant au raid de la baie de Souda, il consista en une opération commando de nageurs de combat de la Xè Flottiglia MAS de la marine royale italienne contre des navires britanniques alors au mouillage. Ainsi un commando de six commandos-marins italiens, placés sous l'autorité du lieutenant de vaisseau Luigi Faggioni, réussira t-il à pénétrer dans la baie et à lancer leurs vedettes bourrées d'explosifs contre les embarcations anglaises dans la nuit du 25 au 26 mars 1941. En file indienne et à faible vitesse (pour ne pas alerter les Britanniques), le commando italien franchira deux barrages, puis plusieurs séries d'obstruction fermant la baie. Le troisième barrage protégeant les navires au mouillage se révèlera plus compliqué mais sera contourné peu avant cinq heures du matin. Après un dernier repérage, deux embarcations seront lancées sur le croiseur lourd HMS York de la Royal Navy, sa principale cible, et deux autres contre le pétrolier Périclès. Il est alors 5h15, et d'énormes explosions se produisent alors, laissant penser à la DCA britannique qu'il s'agissait d'une attaque aérienne. Le croiseur anglais n'ayant pas coulé, le lieutenant Faggioni décide de l'attaquer avec son dernier équipier, mais sa route sera contrariée par deux vedettes yougoslaves qui avaient compris ce qui se passait. Au final, le croiseur HMS York est touché puis achevé peu de temps après par les Stuka, et le pétrolier grec Périclès, touché également, sombrera le 6 juillet lors de son remorquage vers Alexandrie. Dans l'opération, trois autres navires auront aussi subi des dommages. Et les six pilotes italiens survivants, d'être rapidement capturés. Aujourd'hui, la marine grecque dispose d'aménagements portuaires spécifiques sur la péninsule d'Akrotiri et d'une caserne à côté de Souda.
Sur la colline de Paliokastro, un plateau dénudé contrôlant l'entrée de la baie, s'élevait jadis la cité antique d'Aptera, qui fut fondée à l'époque minoenne, et qui devint l'une des plus puissantes cités de la région à partir du V ème siècle avant J.C. Celle-ci disposait de deux ports : Minoa (l'actuelle Marathi) et Kissamos (près de l'actuelle Kalyvès). La cité restera importante durant l'époque romaine, puis lors des premiers temps de l'Empire byzantin, avant d'être détruite par deux tremblements de terre, aux IV è et VII è siècles, puis par les Sarrasins en 823. En tant que cité-Etat, Aptera contrôlera toute la région et plusieurs villages alentours. Les frontières possibles de son territoire auraient été le territoire de Kydonia (avec laquelle Aptera sera souvent en conflit), à l'ouest, et celui de Lappa, au sud et à l'est. Les murs de la ville (ci-dessous) étaient longs de 3480 mètres et entouraient la partie plate de la colline, mais la surface encerclée par cette muraille ne sera jamais urbanisée. Ce mur fut élevé dans la seconde moitié du IV è siècle, mais la finition est différente selon les endroits. La protection de cette muraille était renforcée par des tours de fortification, placées surtout sur le mur ouest, le plus facile d'accès depuis l'extérieur.
Au IX ème siècle avant J.C, la Crète bénéficia de conditions favorables qui permirent l'érection de nouvelles cités, dont Aptera. Cette dernière aurait été fondée sous la période géométrique et aurait été, tout au moins dans un premier temps, une cité industrielle (l'exploitation minière existait alors sous la période minoenne) ayant développé le travail des métaux. D'importantes fouilles permirent de découvrir que la ville prospérera jusqu'au IV ème siècle avant J.C. On comptait alors jusqu'à huit faubourgs situés au pied de la colline, et Aptera, réputée pour l'habileté de ses archers, de fournir à cette époque des mercenaires à divers conflits hors de Crète. L'argent, importé d'Egypte, permettra à Aptera de frapper sa propre monnaie. Les archéologues estiment quant à eux que la population de la cité avoisinait alors les 20000 habitants, composée d'hommes libres (marchands, propriétaires terriens et armateurs) et d'esclaves. Aptera développera aussi une intense politique étrangère d'après des inscriptions mises à jour lors des fouilles.
Lors de la conquête de la Crète par Metellus (en -67 à -63), Aptera se rendit sans combattre, tout comme d'ailleurs Kydonia. Et la cité de recueillir ainsi les faveurs des Romains qui ne lui infligèrent que peu de taxes. Il semblerait que le déclin d'Aptera ait débuté avant cette conquête romaine, compte tenu de sa trop grande dépendance vis à vis de sa voisine Kydonia (Chania). Sous les Romains, la cité continuera de vouer un culte à différents dieux. Un petit temple, dédié à Démeter et Perséphone, et datant du Ier siècle, sera mis à jour en 1958. On retrouvera aussi des preuves de l'existence d'un culte voué à Isis, la déesse égyptienne. C'est à partir du III è siècle que la cité débutera son déclin, tandis que des villes comme Kydonia et Kissamos prospéraient. Déclin accentué par le séisme de l'an 364-365, à l'issue duquel Aptera continuera d'être habitée. Un second tremblement de terre et la mise à sac de la cité par des pirates sarrasins auront bientôt raison de la ville. Un monastère (en photo ci-dessus) fondé vers 1182 et dédié à Saint Jean le Théologien s'établit au centre de l'ancienne cité. Ce monastère était la propriété du monastère Saint Jean le Théologien de Patmos. Plus tard, les Vénitiens s'établiront sur place avant que d'autres pirates ne détruisent à nouveau la place, en 1583. Au milieu du XIX è siècle, les ruines d'Aptera serviront même de carrière pour la construction d'une forteresse turque à Kalami. Et Aptera de tomber peu à peu dans l'oubli, avant de réapparaitre quelques siècles plus tard, grâce au géographe Cristoforo Buondelmonti (en 1415) qui décrivait déjà les citernes (photo ci-dessous) de la ville. Ou encore Joseph Pitton de Tournefort (en 1700) qui visitera les ruines de Paleokastro et pensera qu'il s'agissait là de la cité antique Aptera. C'est à Robert Pashley (en 1834) qu'on devra la découverte d'Aptera avec plus de précision, lui qui découvrira un mur portant un décret de la cité antique, à un mètre de profondeur, tout près du monastère. Puis, le Français Carle Wescher mettra à jour le mur des inscriptions, entre 1862 et 1864, mur qui pourrait bien marquer l’emplacement du prytanée. Après la bataille de Crète, l'armée allemande occupa l'endroit, à cause de sa position stratégique. Occupation qui donnera, là aussi, lieu à des fouilles, permettant la mise à jour du temple bipartite au sud-ouest du monastère.
De nos jours, les monuments les plus imposants restent les citernes voutées d'eau potable qui datent de la période romaine. La plus imposante, qui mesure 55,80 mètres de long et 25 mètres de large, offrait une capacité de 3050 mètres cubes d'eau. Ses murs étaient renforcés à l’intérieur par un mur de brique et de plâtre, et l'étanchéité était assurée par un épais enduit de plâtre étanche. L'alimentation des citernes se faisait grâce à des ouvertures dans le toit de chacune d'elles. L'eau étant également collectée par d'autres citernes réparties en divers endroits. Un système d'aqueducs ainsi que des tuyaux en terre cuite enterrés permettaient de transférer l'eau d'une citerne à l'autre. Les deux citernes principales servaient surtout à alimenter les bains (deuxième photo), situés plus au nord. Aucune mosaïque ne fut retrouvée dans ces bains, contrairement à l'usage de l’époque.
Dans une autre partie du site, une villa au péristyle fut en partie fouillée (ci-dessous) et permit de mieux appréhender ce qu'était l'architecture résidentielle à Aptera. Cette maison est datée de la période romaine et on peut supposer que les standards architecturaux de la cité suivent ceux de la période hellénistique des îles de la mer Egée et de l'Asie Mineure. On retrouve les traces d' un péristyle intérieur, et d'une allée recouverte d'un toit en tuiles. Le toit était supporté par des colonnes de type dorique. C'est le tremblement de terre de 364-365 qui aurait détruit cette villa, dans laquelle on retrouva une petite statue d'Aphrodite en marbre, un buste d'Hermès et des poteries et pièces d'usage quotidien, situées dans l'atrium de la maison. Atrium qui représentait le centre de l'endroit, tandis qu'un second atrium abritait pour sa part des puits.
Une cavité située au sud-est abrite le théâtre (ci-dessous) de la cité. Son mauvais état actuel fut causé au XIX è siècle par l'utilisation du site comme carrière. La largeur maximum de l'ensemble est de 55 mètres et de 18 mètres en ce qui concerne l'orchestra. La partie fouillée montre que les gradins étaient faits de sièges taillés dans la pierre.
A l'extrémité nord-est de l'espace décrit par les murailles, s’élève une forteresse (ci-dessous) qui fut bâtie pour la première fois par les Vénitiens, au XVI è siècle, avant d'être détruite par les pirates en 1583. On doit sa restauration aux Ottomans qui la remettront en état en 1866-1867, lors de la révolte crétoise, d'où son nom de Koules (signifiant place forte, en turc). Sa reconstruction fut rendue possible en partie grâce aux matériaux récupérés dans les ruines de la cité antique. Le bâtiment est plutôt de forme rectangulaire (35 mètres de long pour 25 mètres de large), et flanqué de deux tours sur sa façade méridionale, tandis que la façade nord décrit un arc de cercle. L'ouvrage domine tout la baie de Souda et la vallée de l'Apokoronas, ainsi que la forteresse d'Itzedin (deuxième photo ci-dessous) qui fut bâtie par les Ottomans en 1872, en contrebas de ce premier fort.
Je poursuis ma visite en me rendant à Gavalochori, avec l'intention de visiter le musée folklorique. Celui-ci est malheureusement fermé hors saison. L'endroit est pourtant digne d'intérêt et le bâtiment abritant ce musée est caractéristique de l'architecture locale traditionnelle, développée sur deux niveaux : un rez-de-chaussée avec un balcon, la cour intérieure, la maison à proprement dit avec ses arcades et ses pièces auxiliaires et une mezzanine. Une partie de l'édifice fut construite sous la période vénitienne alors que l'étage où se trouve la mezzanine fut rajouté sous l'occupation turque. L'ensemble fut offert à la communauté de Gavalochori par les héritiers, George et Maria Stilianakis. A l'intérieur, une exposition présente la vie traditionnelle au pays d'Apokoronas sous tous ses aspects. On peut y admirer la reconstitution d'un intérieur du début du XX è siècle (avec un lit à alcôve). Le musée aborde également les révoltes crétoises en s'appuyant sur des lithographies et l'on peut également découvrir une collection d'armes, sans parler de l'artisanat local, lui aussi très bien représenté. Les femmes du pays étaient en effet réputées pour leur maitrise du kopanelli , technique de broderie particulière réservée aux vêtements féminins de noce ou aux nappes décoratives, exécutée avec de la soie produite localement.
Par le plus grand des hasards, je rencontre sur mon chemin un compatriote : Gilles vit ici depuis plusieurs décennies, après avoir bourlingué de par le monde, en tant que guide. Il me parlera de Gavalochori avec beaucoup d'attachement et me conseillera de me rendre à l'ancien moulin à huile du village (deuxième photo). Ici, la culture de l'olive fait partie intégrante de la vie crétoise et l'huile ainsi produite jouit d'une qualité exceptionnelle. Sa fabrication se déroule en plusieurs étapes et est le fruit d'un long processus. Le moulin de Gavalochori date de la période vénitienne et consiste en un bâtiment double recouvert d'un toit voûté. A ne pas manquer lors de votre passage !
INFOS PRATIQUES :
- Site archéologique d'Aptera. Ouvert toute l'année, et tous les jours (sauf le lundi) de 8h30 à 15h00. Entrée : 3€. Tél : 2821 044 418.
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Musée d'histoire et du folklore de Gavalochori : ouvert en saison estivale uniquement, de 9h00 à 20h00 du lundi au vendredi, et de 9h00 à 19h00 le samedi. Le dimanche, ouverture de 11h00 à 18h00. Entrée : 2€. Tél : 2825 023222.
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Si vous souhaitez découvrir le village de Gavalochori dans ses moindres recoins, mais aussi la région,adressez-vous à Gilles (courriel: mitato@gmx.net
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