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Tokaïdo, la Route de la Mer de l'Est - Yokkaichi
(Préfecture de Mie, Japon)
Heure locale

Mercredi 2 mars 2016

 

Je suis arrivé ce matin à Yokkaichi, la 43 ème station de la route du Tokaido, sur laquelle je ne trouverai pas beaucoup d'informations. L'office de tourisme local ne cesse de me dire qu'il y a eu la guerre et que beaucoup de bâtiments furent détruits, ne laissant pas (ou si peu!) de vestiges de la période Edo. On me conseille toutefois de me rendre au musée municipal, qui se situe à deux pas de la gare ferroviaire Kintetsu, l'autre ligne de trains locale qui a l'avantage de se trouver à deux minutes de mon hôtel (alors que la gare JR, elle, se trouve à quinze minutes de marche de là). Ce groupe industriel fut fondé sous le nom de Nara Kido Ltd, en septembre 1910, et renommé Osaka Electric Railway Co. un mois plus tard. A présent, la compagnie de chemin de fer Kintetsu est la plus importante des compagnies ferroviaires, derrière JR (Japan Railways) et dessert Osaka, Kyoto, Nara, Nagoya et Ise. Le groupe est aussi actif dans le tourisme, l’immobilier, le transport maritime et la fabrication de wagons de passagers qui sont ensuite vendus au Japon, mais également à l'étranger (Egypte, Etats-Unis, Hong-Kong).

Le musée municipal offre une exposition permanente passionnante sur Yokkaichi et son histoire, depuis la période Yayoi jusqu'à nos jours. On se rend compte alors du chemin que cette ville a parcouru depuis la route du Tokaido, lorsqu’elle était devenue la 43 è ville-étape de ce parcours (ci-dessous). Une particularité toutefois : Yokkaichi-juku était située à l'intersection du Tokaido et du Ise Jinhu Kaido qu'empruntaient les voyageurs pour se rendre au plus vénéré des sanctuaires au Japon, Ise-Jingu.

 

A vrai dire, l'histoire débute bien avant, lorsque l'endroit n'était alors que le petite village de Kurube, il y a 2000 ans. Les gens vivront dans des maisons primitives faites en bois jusqu'au XIII ème siècle. Peu larges (4,7 mètres), ces demeures étaient relativement hautes (5,4 mètres) et étaient aménagées afin de laisser s'échapper la fumée par le toit. Quatorzième subdivision traditionnelle de l'histoire du Japon, la période Yayoi commence vers 400 ans avant J.C pour se terminer vers 250 ans après J.C. Le pays était alors constitué de centaines de communautés tribales, qui vivaient de riz, de légumes crus et de poissons servis sur des plateaux de bois et de bambous. Les populations auront des relations de maitres à vassaux, et l'on sait qu'il existait des collectes de taxes (déjà!), des greniers et des marchés provinciaux. On sait aussi que les gens frappaient dans leurs mains pendant les cultes, qu'ils se battaient dans de violentes luttes de successions, qu'ils construisaient des tombes sous la forme de tumulus et qu'ils pleuraient leurs morts. Le petite village de Kurube (ci-dessous), lui, connaitra des avancées sociales et agricoles au fur et à mesure, et la population, probablement issue d'un mélange de gens venus du nord de Kyushu avec des habitants de la civilisation Jomon, d'augmenter peu à peu et d'évoluer. On tissait des draps, on vivait dans des villages de fermiers et on cultivait le riz de manière similaire au centre et au sud de la Chine voisine. L'irrigation des champs existait déjà, la riziculture engendrant de profondes modifications du développement des villages. Et une hiérarchisation de se mettre en place avec la sédentarisation des populations, aboutissant à la création de petites unités économiques.


 

Longtemps plus tard, Yokkaichi allait devenir l'une des stations postales de la route du Tokaido instaurée par Ieyasu Tokugawa. Et la cité d'aligner ses boutiques le long des rues (ci-dessous) qui convergeaient souvent vers la baie d'Ise, anse naturelle le long de la côte nippone dans laquelle se jette le fleuve Kiso. On peut y admirer les rochers mariés de Meoto qui forment l'un des sanctuaires shinto les plus importants du pays, Izinagi (le mâle) et Izanami (la femelle), dont l'union est symbolisée par une lourde corde en paille de riz appelée shimenawa. C'est de l'oeil gauche d'Izanagi que serait née Amaretsu, principale divinité shinto.

A l'époque, le petit port de Yokkaichibaura se trouvait au coin du marché, non loin de la route du Tokaido. Les boutiques aux simples étals y tenaient commerce les 4, 14 et 24 de chaque mois (d'où le nom de l'actuelle ville, Yokkaichi, signifiant la ville au marché des quatrièmes jours). On y vendait de la vaisselle, de la faïence ces jours-là tandis que d'autres boutiques, ouvertes les autres jours, vendaient poisson, vêtements et papeterie. On trouvait alors des marchés dans les quartiers de Kitamachi, Minamaimachi, Nishimachi et Tatemachi.


 

Bientôt, L'époque Edo introduisit le système de transport Tenma pour les marchandises et pour permettre aux hommes de communiquer entre Edo et Kyoto. Des auberges apparurent alors le long de la route shogunale, ainsi qu'à Yokkaichi-juku, alors station officielle du Tokaido, qui rivalisa avec d'autres stations non-officielles, celles-là, comme par exemple Aino shuku, Tomida ou encore Hinaga. Ces stations de deuxième catégorie étaient toutefois populaires auprès des voyageurs pour leurs spécialités locales. A Yokkaichi, se tenait un préposé officiel (ci-dessous) qui mettait à jour les entrées des uns et des autres dans la ville. On le reconnaissait généralement à son échoppe surélevée qui permettait d'ailleurs aux gens de passage de s'adresser directement à lui. Les chevaux Tenma étaient quant à eux utilisés pour transporter de lourdes charges (jusqu'à 150 kg par animal, y compris le cavalier) car ces animaux étaient petit mais costauds et résistants. On descendait à l'auberge (honjin) où on partageait parfois la même chambre à plusieurs. Il y avait aussi le salon de thé où l'on trouvait de l'eau bouillante à toute heure et où on pouvait s'asseoir d'une manière ou d'une autre, avec ou sans chaussures. Plus loin se dressait un panneau en bois couvert, sur lequel on annonçait les décrets du gouvernement féodal. Ces panneaux étaient en règle générale installés dans les lieux de passage, ou aux carrefours (Fuda no Tsuji), et donc accessibles au plus grand nombre. La route du Tokaido cohabitait avec d'autres axes routiers mais était reconnaissable à ses honjin (auberges) à deux niveaux avec leurs toits de tuiles. D'autres lieux de repos, plus rudimentaires, étaient mis à la disposition des voyageurs, mais ne permettaient pas qu'on y passe la nuit. La route shogunale était aussi bordée de pins afin qu'on ne puisse pas la confondre avec une autre route, et des panneaux indicateurs (Oiwake) étaient judicieusement placés aux carrefours qui pouvaient prêter confusion.

Sous l'ère Muromashi, le commerce va véritablement prendre un nouvel élan à Yokkaichi et le port de se développer de la même manière. Une autre voie de navigation viendra concurrencer le Shichiri no Watashi existant entre Miya et Kuwana : une nouvelle voie maritime, Juri no Watashi, allait permettre aux voyageurs de se rendre directement à Yokkaichi depuis Miya. A la fin de la période Edo, un violent tremblement de terre détruira malheureusement le port. Nous sommes alors à l’époque du Bakumatsu (fin du shogunat Tokugawa).

 

1873 sera l'année du renouveau pour la ville car Inaba San-Emon, un riche armateur décidera de réparer le port de Yokkaichi et de le développer. Le Japon entre alors de plein pied dans l'ère Meiji et le commerce est ouvert aux étrangers en 1899. De nouvelles technologies apparaissent, et la vie économique tourne autour du commerce du thé, de la poterie, et de l'industrie textile basée sur le coton et la soie. En 1907, le port de Yokkaichi devient un point d'ancrage pour les bateaux en partance pour les Etats-Unis. L'industrie cotonnière bat son plein et des industriels comme Shibuwasa Eiichi s'installent. Yamanaka Chuzaemon, chef du village de Suenaga aura même l'idée de lancer la poterie à grande échelle et les artisans seront nombreux à s'y établir.


 

Au début de l'année 1906, quatre projets majeurs avaient déjà été concoctés localement. Et l'entrée dans l'ère Showa allait bientôt autoriser le développement d'une industrie lourde à base de chimie, en remplacement de l'industrie du coton. De plus, le Japon avait décidé d'installer à Yokkaichi une réserve de carburant pour la Marine japonaise ainsi que des usines d'armement. Activités qui subiront d'ailleurs les bombardements américains en 1945.

Après la Seconde guerre mondiale, le choix sera fait d'installer un complexe pétrochimique dans le port de Yokkaichi, mais avec la mise en service de ce centre industriel en 1956, des plaintes de résidents afflueront pour se plaindre du bruit, de l'odeur et...de la pollution de l'air. On releva rapidement une hausse importante de maladies respiratoires, plus particulièrement l'hiver à cause des vents nord-ouest, et les résidents demandèrent aux autorités préfectorales de réagir, face au rejet massif de dioxyde de souffre par l'industrie pétrolière qui fabriquait nylon, huiles, plastiques et autres produits dérivés du pétrole. Maladies pulmonaires chroniques, bronchites chroniques, emphysèmes pulmonaires et asthme devinrent le quotidien des habitants de Yokkaichi.


 

Cette utilisation massive du pétrole était le résultat de la décision du gouvernement japonais qui avait, en 1955, décidé d'entamer une transition énergétique, en passant du charbon au pétrole. D'où la construction du complexe pétrochimique à Yokkaichi dès l'année suivante, le premier du genre au Japon. On annonça bientôt la construction d'un deuxième complexe au nord de Yokkaichi, compte tenu de la forte demande en produits dérivés. Ce complexe verra le jour en 1963. Et un troisième complexe pétrochimique de démarrer ses activités en 1972. On ne se préoccupait pas beaucoup d'environnement à cette époque et seul comptait le développement industriel. Peu à peu, les rejets issus d'exploitations minières avaient pourtant empoisonné les cours d'eau (depuis le début de l'ère Showa), l'air devenait de plus en plus irrespirable autour des usines, et l'on poursuivait malgré tout à marche forcée l'extension de zones industrielles.

Septembre 1967 vit l'attaque par des plaignants de six compagnies du premier complexe pétrochimique. 67 enquêtes étaient alors déjà en cours. Et 1972 vit la victoire des plaignants à travers le vote d'une loi leur étant favorable. Devant la détermination de la population locale, le gouvernement japonais avait accepté de prendre en charge les frais médicaux des personnes malades, faisant ainsi de Yokkaichi la première ville nippone à rembourser les frais médicaux des victimes à partir de fonds publics.

Depuis, les efforts n'ont pas cessé, de la part des résidents (qui poursuivent leur lutte), des sociétés pétrochimiques (qui adoptèrent des mesures de prévention plus drastiques), des autorités (qui votèrent de nouvelles lois préventives, et des compensations financières pour les victimes). Gageons qu'une telle mésaventure ne se reproduise pas !

 

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