Mardi 10 mai 2016
J'ai passé ma journée au volant ce lundi afin de parcourir les 500 kilomètres entre Albany et Espérance, plus à l'est. J'ai traversé plusieurs parcs nationaux, tous différents les uns des autres, et je crois qu'il faudrait des mois, voire des années pour tout explorer. En cours de route, il est ici coutume de se faire un petit signe amical de la main entre camping-caristes. Cela me rappelle la Nouvelle-Zélande où cette même coutume existe également. Le temps n'est pas au beau fixe et j'alternerai entre éclaircies et pluies torrentielles. Celles-ci seront pour une fois bienvenues car elles me permettront de nettoyer mon pare-brise, sans effort.
Espérance est une petite ville minuscule. Je m'y attendais. Elle est située à quelques 700 kilomètres de Perth et accueille de nombreux touristes compte tenu de la beauté de ses plages, fort nombreuses. Il s'agit d'emprunter la Great Ocean Drive (ci-dessous) pour s'en convaincre. Cette route qui fait quarante kilomètres, offre un panorama inégalé du littoral australien avec ses plages, ses points d'observation (Observation Point par exemple) et ses promontoires. Le sable y est plus blanc qu'ailleurs et on peut imaginer le plaisir ressenti à s'y promener par beau temps, en voiture ou à vélo (une piste cyclable longe la route tout en étant séparée de la chaussée).
Côté culturel, Espérance n'offre pas grand chose. Seul le musée municipal trouvera grâce à mes yeux. Ce joyeux bric-à-brac recèle des trésors venus de toute l'Australie et c'est à une plongée dans l'histoire de ce pays que je suis convié. On pourrait franchement y passer des heures tant il y a de choses à voir et...à lire ! L'endroit abrite une foule d'objets du quotidien dont les Australiens se servaient il n'y a pas encore si longtemps. On peut, ici et là, trouver d'anciens articles de la presse d'antan relatant tel ou tel événement (en anglais bien sûr) ou décrivant par exemple une ancienne machine à sorbet manuelle...La première salle nous transporte dans le monde maritime, et le rôle de la Marine dans la guerre de 1914 est abordée. Un peu plus loin, on revient sur la mobilisation des soldats australiens lors des deux guerres mondiales, puis on s'intéresse aux origines d'Esperance. J'apprends ainsi que ce lieu reçut la première visite d'un Européen en 1627, avec la venue du navire hollandais « Gulden Zeepaert » commandé par François Thijssen, qui ne fera que passer au large d'Espérance, poursuivant sa route en direction de la grande baie australienne. Ce sont les explorateurs français, partis à la recherche du bateau « La Pérouse » qui accosteront ici les premiers, en 1792, lors d'une tempête. La ville Esperance tire d'ailleurs son nom du navire du même nom (deuxième photo ci-dessous) à l'époque commandé par le Français Jean-Michel Huon de Kermadec. En 1802, le navigateur anglais Matthew Flinders mouille dans la Baie des Îles, donnant des noms à plusieurs lieux comme par exemple la Baie de la chance (Lucky Bay) ou encore Thistle Cove. Chasseurs de baleines et de phoques, et même pirates passeront aussi par là, puis plus tard, des fermiers et des chercheurs d'or s'y installeront. La découverte d'or entrainera d'ailleurs la construction d'une longue jetée en bois à Esperance, non loin du seul port en eau profonde de la région. En 1898, la population locale grimpait déjà à 985 personnes. Plus tard, en 1920, la région prédominera dans la production céréalière, au point qu'une seconde jetée, la Tanker Jetty, deviendra nécessaire afin de permettre le chargement de tous ces grains.
Le musée nous le rappelle : l'engin spatial Skylab s'écrasera cette en 1979 quelque part dans le coin, éparpillant une multitude de déchets sur Esperance et les environs. La ville facturera d'ailleurs pour 400 AUD de frais de nettoyage....facture qui sera finalement acquittée par les Etats-Unis en 2009 ! Le musée municipal consacre une vitrine à cet événement et plusieurs panneaux expliquent au visiteur ce qu'était Skylab et les conséquences de son crash à Esperance. Poursuivant ma visite, je découverte une grosse locomotive verte, la W919, qui oeuvra longtemps dans la région : en 1909 ouvrait une ligne de chemin de fer Perth-Esperance via Coolgardie et Norseman. Plus tard, une autre ligne vit le jour entre Perth et Salmon Gums. Nous sommes alors en 1925 et le train s'arrête à huit reprises sur 104 kilomètres, mettant ainsi 5h15 pour boucler son trajet à une vitesse maximale de...25 km/h. Ce sera le début du rail dans cette partie de l'Ouest australien. A noter que la locomotive en question est à sa place puisque le bâtiment qui abrite aujourd'hui le fameux musée servit autrefois d'entrepôt avant d'être plus tard agrandi par les douanes, pour servir enfin de terminus de la gare ferroviaire d'Esperance. La boucle est bouclée.
A une époque où le gouvernement français semble bien docile à ce qui nous est imposé de l'étranger, il est bon de rappeler qu'il n'y a pas si longtemps, notre pays était encore une grande nation d'explorateurs, et notamment en Australie. Pourtant, ce continent d'Océanie était alors loin d'être sûr : les cyclones y étaient nombreux et très violents, et les côtes étaient bien souvent parsemées de récifs, que le gros temps ne permettait pas toujours de repérer. Le navire Espérance était une gabare de la Marine royale française qui sera plus tard reconvertie en frégate. Il sera, aux côtés d'un autre bateau, La Recherche, partie prenante dans l'expédition conduite alors par le contre-amiral d'Entrecasteaux. Construit à Toulon et d'abord baptisé sous le nom de La Durance, il servira d'abord au transport de troupes. Puis, un beau jour, il quittera le port de Brest, ce 29 septembre 1791, pour une mission d'exploration, chargé par le roi Louis XVI de retrouver Jean-François de La Pérouse, en Nouvelle-Calédonie et dans le Pacifique sud. A la tête du navire, le capitaine Jean-Michel Huon de Kermadec. Deux ans plus tard, l'Espérance sera capturé par les Hollandais à Surabaya, lors d'un triste concours de circonstance et ne sera restitué à notre pays qu'en février 1794. Il sera alors vendu à la Hollande, puis démantelé deux mois plus tard. Triste fin pour un si prestigieux navire qui, depuis, a prêté son nom à la ville, mais également à la baie juste en face. Cette baie sera découverte le 9 décembre 1792 par le contre-amiral d'Entrecasteaux, par le heureux hasard d'une tempête qui avait poussé les Français à trouver refuge dans cet endroit. C'est en fait l'enseigne Jacque-Bertrand Legrand qui apercevra un passage navigable et un point d'ancrage à l'abri des vents, permettant aux deux frégates d'échapper par miracle au naufrage. Le même Legrand, encore un Français (excusez du peu!) qui laissera son nom cette fois à un parc national , celui du Cape Le Grand.
A une soixantaine de kilomètres d'Espérance, se trouve en effet un très joli parc national où se trouve, entre autres, la Lucky Bay (en photo ci-dessous) dans laquelle on peut observer des kangourous. Je passerai aussi devant le Pic du Français (troisième photo), encore un souvenir laissé par nos brillants découvreurs. Entre temps, le soleil est revenu et donne aux eaux cristallines de la plage toutes leurs belles couleurs. Le sable est carrément blanc et extrêmement fin. Plusieurs autres touristes ont eux aussi eu la même idée : venir admirer la beauté des lieux. D'autres ont couché sur place, dans le terrain de camping aménagé à l'intérieur du parc. Je me promène sur la plage mais...pas un seul kangourou. Mince, moi qui rêvait d'en apercevoir (enfin) un vivant, les autres ayant souvent été tués par des véhicules en bord de route. Soudain, j'en repère un, très affairé au milieu d'un champ d'algues. L'animal peu farouche, se laissera facilement approcher et jouera les stars devant mon objectif. Quelques instants plus tard, je reprendrai le volant pour découvrir d'autres paysages dans ce parc Cape le Grand (quatrième photo).
L'histoire finira somme toute tragiquement pour celui qu'on appelât jadis « chevalier d'Entrecasteaux », puisque notre homme mourra du scorbut le 20 juillet 1793, loin de chez lui, dans le Pacifique sud, et sans jamais avoir récupéré Monsieur de La Pérouse. Son sacrifice, ainsi que celui d'autres hommes de la même trempe que Bougainville ou Dumont d'Urville ne sera pas vain puisqu'il s'inscrira dans la droite ligne des voyages scientifiques français qui contribueront aux XVIII et XIX èmes siècles à une meilleure connaissance de l'Océan Pacifique et de ses habitants. Quant à moi, j'avoue éprouver un certain plaisir à croiser des noms français qui restent inscrits dans cette histoire indélébile de l'Australie. Le mot « Espérance » prend alors tout son sens.
INFOS PRATIQUES :
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Musée municipal, à l'angle des rues James et Dempster, à Esperance. Tél : 08 9071 1579. Ouvert tous les jours de 13h30 à 16h30. Entrée : 7 AUD. Prise de photos autorisée. Parking gratuit juste à côté du musée.
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Esperance Bay Holiday Park, 162, Dempster Street à Esperance. Tèl : 08 9071 2237. Emplacement pour camping-car à 34 AUD. Pas d'internet mais la couverture Telstra est parfaite à cet endroit. Et le personnel très agréable.
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Le Liquor Shop (près du supermarché IGA) situé sur Dempster Street est à recommander. La sommelière vous conseillera le vin le plus adapté en fonction de vos goûts.
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Parc national Cape le Grand, à soixante kilomètres d'Espérance. Entrée : 12 AUD. Il risque fort de n'y avoir personne à l'entrée du parc. Payez donc votre entrée en CB et gardez précieusement votre ticket pour faire (éventuellement) transformer celui-ci en Pass vacances (nombre d'entrées illimité) à 44 AUD (cette opération doit intervenir au plus tard le septième jour après la date de l'entrée). Je me suis personnellement rendu au bureau des parcs nationaux (qui jouxte le bureau de poste d'Esperance) et ai échangé mon ticket à 12 AUD contre un Pass Vacances valable quatre semaines, moyennant le paiement (en CB) d'un complément de 32 AUD.
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N'oubliez pas de vous munir du guide gratuit « National, marine and regional Parks in Western Australia », disponible dans les offices du tourisme ou dans les parcs nationaux.