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Complejo Tango
(Buenos Aires, Argentine)
Heure locale

 

Dimanche 17 juillet 2016

 

Cette fois, je suis accompagné de deux amis, Valérie et Luc, qui découvrent avec moi Buenos Aires. J'ai choisi de les emmener ce soir au Complejo Tango, pour assister à un diner-spectacle de cette danse si populaire. Tous les soirs de l'année, cet établissement, idéalement situé dans le quartier de Balvanera, ancien quartier des poètes, offre aux touristes de passage cette magnifique prestation au cours de laquelle chanteurs et danseurs professionnels se produisent sur scène pour retracer l'histoire du tango. La soirée débute avec un cours de danse (ci-dessous), suivi à 20h00 d'un délicieux diner (entrée, plat principal et dessert) arrosé de vin argentin issu de la cave du restaurant. Tout est inclus dans le prix et on vient même vous chercher (et vous raccompagner) à votre hôtel. Que demander de plus ?


 

A 22h00, débute le spectacle sous nos yeux : les musiciens entament leur partition et les premiers danseurs entrent en scène. Il en sera ainsi pendant un peu plus d'une heure au cours de laquelle se succéderont cinq tableaux égrenant l'histoire de cette danse, véritable institution ici, en Argentine. C'est que le tango naquit le long des rives marécageuses du Rio de la Plata, dans les faubourgs de Buenos Aires (Argentine) et de Montevidéo (Uruguay), de l'autre côté du delta à la fin du XIX ème siècle. L'Argentine, devenue indépendante en 1810, a libéré ses esclaves noirs et unifié ses provinces. Elle choisit également Buenos Aires comme capitale, puis une Constitution fédérale en 1880. Dix ans plus tôt, la ville avait sollicité l'aide des migrants pour faire face au développement économique croissant sur place et ce sont plusieurs millions d'immigrants qui vont débarquer au port, tout particulièrement des Italiens (surtout des Napolitains!) et des Espagnols, mais aussi des Allemands, des Français et des Juifs d'Europe de l'Est...On rêve alors de faire fortune ici, sur ces terres du nouveau monde, mais pour l'heure, les nouveaux arrivants s'entassent à la périphérie sud de la capitale dans d'immenses taudis, appelés conventillos. Deux communautés se font alors face : des anciens paysans ou gauchos (gardiens de bétail) qui ont quitté la pampa et qui descendent de la population indigène d'origine amérindienne, et celle des Noirs, mulâtres et créoles qui descend des anciens esclaves importés un siècle auparavant d'Afrique noire vers les Antilles, et une partie de l'Amérique du Sud.

 

Comme il faut bien se divertir, des petits bals improvisés naissent dans les cours des conventillos, animés par quelques instruments de musique (guitare, flûte,mandoline...) et l'on s'exerce à différentes danses traditionnelles (habanera cubaine, tango andalou ou gitan...) sur un mélange de rythmes et de mélodies venues d'Europe, et d'airs des payadores (chanteurs itinérants) et des Noirs issus des rives du Rio de la Plata. De là, naitra une nouvelle danse entre 1870 et 1890, qui donnera naissance au tango argentin une décennie plus tard.

D'abord, les hommes dansent entre eux, car ces messieurs sont bien plus nombreux (75%) que les dames à cette époque. De nouvelles figures sont inventées à partir des danses traditionnelles, en imitant les danses picaresques locales et les danses cadencées noires originaires du candombé africain et de la habanera cubaine. Le résultat donnera la milonga canyengue, premier véritable tango dansé. Le soir, après le travail, les hommes se rendent ainsi dans les lupanars et les bastringues nouvellement apparus dans les faubourgs de Buenos Aires, du côté du port et des abattoirs, et passent leur nuit à boire, à frimer devant les filles et à danser sur des airs improvisés avec piano, violon et guitare. Le tango argentin jaillira de ces lieux de débauche, fait d'un mélange de pas du canyengue et de nouvelles figures chorégraphiques comme la coupe (Corte), la cassure (Quebrada), des gestes évoquant le plus souvent la séduction et l'acte sexuel. Lors de ces soirées entrecoupées parfois de querelles, les premiers milongueros (danseurs de tango) expriment leur machisme et leur virilité mais aussi leurs sentiments d'exil et de nostalgie, leurs peines de cœur et leurs désirs inassouvis. Et développeront petit à petit le pas de deux et l'abrazo (enlacement) enrichis de figures lascives et de mouvements à connotation sexuelle qui scandaliseront alors la société puritaine portègne de l'époque. Le tango orillero est né.

 

Point de tango sans musique et les premiers tangos milongas et tangos criollos, avec leurs couplets naïfs assez obscènes d'apparaitre à partir de 1880. Un peu plus tard, vers 1900, un répertoire plus élaboré annonciateur d'un rythme musical plus lent, auquel appartiennent les premiers grands tangos aujourd'hui connus, verra le jour. Parmi ces airs célèbres, on retrouve El Entrerriano, du pianiste Rosendo Mendizabal, Don Juan, de Ernesto Ponzio, ou El Choclo d' Angel Villoldo. Le XX ème siècle verra l'essor considérable du tango dans les faubourgs. Des bals populaires plus ou moins clandestins voient le jour, souvent dans des petits cafés flanqués d'une simple piste de danse ou dans des guinguettes louches qui font notamment leur apparition dans le parc de Palermo. Guapos, compadritos (petits caïds) et cafishios (proxénètes) fréquentent également ces lieux glauques. La musique, elle, prend forme avec des petits orgues portatifs, comme le bandonéon inventé vers 1850 par l'allemand Henrich Band. Cette musique se diffuse dans les rues au son des organitos (orgues da barbarie) et permet au petit peuple de se retrouver dans cette culture naissante du tango.

 

Au tout début du XX ème siècle, les premiers orchestres typiques de la Vieille Garde font aussi leur apparition sur les estrades, et avec eux, une tonalité musicale plus sombre et plus mélancolique. La danse se codifie peu à peu en générant des figures de plus en plus sophistiquées. Et les cajetillas (fils de bonne famille), eux aussi, de s'encanailler pour découvrir un autre monde, voire séduire à l'occasion les milonguitas (jeunes filles) entre deux pas de tango. Ceux-ci s'approprieront cette danse jusqu'à l'introduire dans les maisons closes bourgeoises du centre ville de Buenos Aires. De l'autre côté du fleuve, à Montevideo, apparaissent dans le même temps les academias qui deviendront plus tard les salles d'apprentissage et de pratique du tango. Le bandoneon s'impose peu à peu comme l'instrument majeur du tango tandis que le piano remplace la guitare. Les marins argentins feront le reste en propageant le tango dans les ports européens lors des escales. Ainsi Marseille découvrira t-elle en 1906 La Morocha d'Enrique Saborido et El Choclo d'Angel Villoldo. Et les premiers enregistrements de tango d'être gravés à Paris quatre ans plus tard. De jeunes bourgeois argentins de passage dans la capitale française se chargeront également de promouvoir le tango dans les milieux parisiens cosmopolites avides de culture exotique et de sensualité latine, au point de bientôt entrainer une véritable passion pour cette nouvelle danse dans toute l'Europe.

 

Dans la salle du Complejo Tango, le spectacle se déroule sous les applaudissements d'un public conquis. L'histoire du tango leur est contée, depuis l'époque du tango canyengue jusqu'aux magnifiques compositions d'Astor Piazzolla. Fils d'immigrés italiens, celui-ci est né à Mar del Plata et découvrira le tango à l'âge de huit ans, lorsque son père, un passionné de cette danse, lui offrira un bandoneon. Astor, qui préfère le jazz, est d'abord déçu mais se mettra au bandoneon à travers la musique de Jean-Sébastien Bach. Ne sachant pas quoi faire de sa vie, il formera son premier ensemble appelé Cuarteto Azul en copiant le style du violoniste Elvino Vardaro qui, dès lors, deviendra pour lui un exemple. Et de devenir joueur de bandonéon en 1938, puis de devenir compositeur avant de créer plus tard son propre orchestre.On connait la suite et la notoriété d'Astor Piazzolla deviendra éternelle.

La particularité du spectacle du Complejo Tango consiste à faire participer le public au show en l'invitant par exemple à esquisser quelques pas de danse sur la scène. Danseurs et chanteurs se frayent aussi un passage entre les tables des convives pour se rapprocher des spectateurs et rendre ainsi le spectacle plus interactif. Et pour les curieux, l'établissement offre même la possibilité de suivre gratuitement un cours de tango juste avant le diner, une sorte de mise en jambe, en guise de ...mise en bouche. Quant à ceux qui souhaiteraient dormir sur place à l'issue de cette mémorable soirée, le Complejo Tango propose huit chambres agencées sur le thème du tango (Carlos Gardel, Caminito, Le Cabaret, Le vieux Buenos Aires, le Bandonéon...), toutes équipées d'une salle de bain privative, d'une télévision, d'un accès internet wifi, et d'air conditionné.

 

Le spectacle de tango est composé de cinq tableaux : les débuts du tango entre 1880 et 1910 (que nous avons examiné plus haut), l'âge d'or de cette nouvelle danse entre 1920 et 1930, la décennie dorée du tango avec son répertoire prolifique et ses grands interprètes à partir de 1940, le renforcement de la présence féminine dans le tango dès les années 1960 et l'apparition du tango contemporain entre 1980 et 2005. Mais au fait, d'où le mot tango vient-il ? Il semblerait que ce terme serait antérieur à l'apparition de la célèbre danse. En 1803, le dictionnaire de l'Académie espagnole décrivait le tango comme une variante du tangano (jeu se pratiquant avec une pierre ou un os). En 1889, on rajouta une définition : fête et bal entre Noirs et gens d'Amérique. Un siècle s'écoulera avant que le dictionnaire ne précise : danse argentine entre couples enlacés, forme musicale à pas de deux de notoriété internationale. Il existe bien d'autres étymologies du tango, plus ou moins crédibles et pas toujours avérées. On pense également que ce terme aurait des origines africaines, et aurait été introduit par les esclaves noirs du Rio de la Plata pour décrire un « endroit clos » (lieu de réunion des esclaves). Tango pourrait aussi le bruit des percussions sur les tam-tam utilisés dans les danses africaines. A ce jour les débats restent ouverts mais rien ne pourra venir casser la magie de cette danse argentine.

 

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