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La Guerre de 1812 dans la région des Grands Lacs et ses répercussions
(Exposition "Les Premières Nations des Grands Lacs", Musée royal de l'Ontario, Toronto, Canada)
Heure locale

 

Samedi 13 juillet 2019

 

Cinquième plus grand musée du continent nord-américain, le Musée royal de l'Ontario contient plus de six millions d'objets et traite de la culture mondiale et de l'histoire naturelle. Créé en 1912 par le gouvernement provincial, il fut longtemps géré par l'Université de Toronto (Canada) avant de devenir une institution indépendante. L'endroit propose plusieurs expositions, dont une qui retient particulièrement mon attention, «Alliés,souverains,cultures vivantes : Les Première Nations des Grands Lacs », à voir jusqu'au 4 janvier 2020. Seulement voilà, arrivé sur place, l'exposition en question, pourtant clairement annoncée sur le site du musée, se révèle impossible à trouver, tant par moi que par l'amie qui m'y accompagne, ou encore les personnels du musée. Vous trouvez cela étrange ? Moi aussi.

 

Je trouvais le sujet de cette exposition passionnant. C'est vrai, le fait d'examiner la participation des nations autochtones à la guerre de 1812 et les répercussions de ce conflit sur le sort des différentes communautés et de leurs cultures me paraissait une bonne idée. J'étais tout de même déçu de n'avoir eu aucune réponse du musée au courriel que je lui avais adressé il y a quelques semaines mais je m'étais débrouillé tout seul pour trouver des sources d'information afin d'écrire un article sur le thème. Question d'éducation, je suppose. Devant me rendre à Toronto pour mon travail, j'avais de toute façon décidé de visiter cet événement qui distingue plusieurs parties : la première, intitulée « Alliés souverains », s'intéresse aux premières nations qui s’allièrent à la couronne britannique pour contrer l'expansion territoriale des Américains. Une seconde partie aborde la vitalité des cultures autochtones malgré des siècles de contact avec les cultures venues d'Europe.

Belinda et moi nous rendrons bien à la Galerie Daphne Cockwell, qui est consacrée à l'histoire des peuples autochtones , un thème très séduisant. De nombreuses vitrines présentent sur place des objets ancestraux ainsi que leurs relations avec leurs collectionneurs issus du milieu des colons. Nombreuses sont les œuvres exposées qui racontent des histoires illustrant l'identité des Autochtones, leurs traditions et leurs croyance au fil des siècle. Curieux de nature, les Européens chercheront très vite à collectionner les objets que ces premiers peuples fabriquaient et utilisaient comme un moyen d'affirmer leurs valeurs traditionnelles. A force de creuser, je parviendrai tout de même à trouver quelques panneaux et vitrines traitant de l'exposition « fantôme » : j'y apprendrai qu'un nombre important d'autochtones combattra lors des guerres anglo-américaines au tournant du 19è siècle. D'un côté, les Américains se battaient pour étendre leur souveraineté sur les territoires occupés par les nations autochtones au sud des Grands Lacs, tandis que les Britanniques faisaient la guerre pour protéger leur empire en Amérique du Nord. Coincés entre ces deux entités, les peuples autochtones luttaient pour conserver leurs territoires et leurs modes de vie. Face à eux, les Britanniques, qui leur avaient pourtant promis des terres exclusives en échange des services militaires rendus à la Couronne, ne tiendront jamais leurs promesses, pas plus au lendemain de la guerre d'indépendance américaine (1775-1782) qu'après le conflit de 1812.

Pour bien comprendre ce que fut cette guerre anglo-américaine de 1812, il faut se souvenir du contexte de l'époque : cette année-là fut celle de l'invasion de la Russie par Napoléon Ier, lequel entrera dans Moscou le 14 septembre , après la débâcle de l'armée russe lors de la bataille de la Moskova. La suite s'avérera moins glorieuse lors de la retraite de Russie. Cette campagne de Russie, considérée comme la guerre patriotique de 1812, avait été déclenchée pour protester contre la levée du blocus continental par Alexandre Ier de Russie, blocus imposé à toute l'Europe depuis six ans à l'encontre du Royaume-Uni.

Au même moment, de l'autre côté de l'Atlantique, les Etats-Unis déclaraient la guerre au Royaume-Uni, ce dernier devant déjà fournir un important effort de guerre dans son conflit avec l'Empire français. Nous sommes alors le 18 juin 1812, et les jeunes Etats américains ont la ferme intention d'envahir les territoires canadiens alors sous autorité britannique, et peuplés depuis quarante ans d'anglophones avec lesquels les Etats-Unis avaient jusque là entretenu d'intenses relations culturelles et commerciales.

Cette guerre de 1812 comportait plusieurs motif : le ressentiment et la colère causés par l'enrôlement forcé de matelots américains dans la Royal Navy que les Britanniques considéraient comme des déserteurs, la forte diminution des échanges commerciaux américains à la suite du blocus britannique des ports continentaux européens et le soutien du Royaume-Uni aux Amérindiens défendant leurs terres face aux spéculateurs fonciers et aux premiers colons américains. Le conflit se déroulera sur trois fronts simultanés : l'océan atlantique, la région des Grands Lacs et les Etats du Sud.

 

Lors de cette visite, je découvrirai plusieurs chefs de guerre haudenosaunees et anishinabes, ainsi que Tecumseh, célèbre guerrier shawnee qu'on surnommait « Jaguar céleste » ou « Etoile filante ». Si ces chefs indiens avaient pour but commun de stopper l'expansion américaine, ils avaient également leurs propres objectifs politiques et culturels. Reconnu pour ses dons d'orateur et son esprit stratégique exceptionnel, Tecumseh tentera de fédérer les tribus amérindiennes depuis le Canada jusqu'à la Floride pour résister à l'avancée des colons sur leurs territoires. Pour lui, l'arrivée des Blancs est alors une punition divine, et Tecumseh rêve déjà de fonder des Etats-Unis Indiens d'Amérique. Mais convaincre les tribus ne sera pas chose facile et la défaite des Indiens à la bataille de Tippecanoe en novembre 1811 face à Harrison annihile ses derniers espoirs. Dans un premier temps, Tecumseh verra la guerre de 1812 d'un bon œil puisque celle-ci allait s'en prendre aux jeunes Etats-Unis. Prudent, il observera la situation puis se résoudra à rejoindre les Anglais, qui selon lui, ne valaient guère mieux mais offraient la meilleure chance d'anéantir ses ennemis américains. Ayant rassemblé autour de lui d'autres tribus indiennes, il s'engagea aux côtés des Anglais dans la bataille de la rivière Thames, face au général Harrison. D'après ce qui se dit, le colonel américain Richard Mentor Johnson se serait avancé vers un groupe d'Amérindiens dont faisait partie Tecumseh, aurait subi les blessures de ses adversaires avant de tomber de son cheval. Tecumseh aurait levé son tomahawk pour l'achever mais se ravisa. Le colonel dégaina alors son pistolet et tua Tecumseh à bout portant. C'est à l'issue de la bataille qu'on retrouva le corps du célèbre guerrier indien. Là encore, il y a controverse sur la suite : certains avancent que les Américains l'enterrèrent avec les honneurs militaires et d'autres affirment que des membres de la milice du Kentucky le défigurèrent jusqu'à en devenir méconnaissable. Reste que Tecumseh quitta cette Terre avec le secret de la malédiction qu'il avait lancé en 1811 sur tous les chefs d'Etat américains (dont Harrison) élus lors d'une année se terminant par zéro dans son écriture. Le Président Harrison ne mourra t-il pas d'une pneumonie un mois seulement après son élection en 1840 ?

 

Je ne trouverai pas la première partie de l'exposition portant sur les Alliés souverains et s'intéressant aux Premières Nations qui s'allièrent à la Couronne britannique pour contrer l'expansion territoriale des Américains. Heureusement, ma recherche documentaire personnelle sera fructueuse et m'enseignera bien des choses sur ce thème. Ces Premières Nations entretenaient depuis longtemps des relations diplomatiques avec les Britanniques lors de rencontres régulières durant lesquelles avaient lieu un échange de présents. Les Britanniques offraient souvent des parures en argent ou des tissus, cadeaux que l'on peut voir sur place et qui furent portés par les membres des Premières Nations au tournant du 19è siècle. Des vitrines présentent les vêtements et les armes traditionnelles de plusieurs chefs indiens dont John Norton, et bien sûr Tecumseh. Un cadeau diplomatique, le « Red Ensign », compte cependant parmi les pièces maitresses de cette partie de la galerie consacrée aux Autochtones (ci-dessous). Offert au chef anishinabe Oshawana durant la guerre de 1812, le Red Ensign que je vois devant moi n'est pas le cadeau original des Britanniques mais une copie. Le vrai drapeau, lui, a été mis à l'abri afin d'en préserver les couleurs. Une vidéo est mise à la disposition du public et retrace les travaux de conservation de ce drapeau historique. Un peu plus loin, le visiteur découvre un récit très vivant chez les Six Nations, de la vie au village mohawk à la suite de la disparition de nombreux guerriers au lendemain de la guerre de 1812.

Au début du conflit de 1812, les peuples autochtones formaient une grande partie de la population nord-américaine. Et des dizaines de milliers de guerriers autochtones de combattre des deux côtés de la frontière pour protéger leurs terres, leur souveraineté et leur culture comme alliés de la Grande-Bretagne ou des jeunes Etats-Unis. Ces combattants, adeptes de la chasse portaient le moins de vêtements possible pour ne pas gêner leurs mouvements et recouvraient leurs corps de peintures de différentes couleurs. Initiés très jeunes au combat, ils sont alors adroits au tir et dans l'usage du couteau et du tomahawk. Plusieurs historiens évalueront les pertes humaines des collectivités autochtones lors de la guerre : celles-ci s'élevèrent entre 7000 et 10000 morts, toutes causes confondues. Lors de l'éclatement du conflit, de nombreuses collectivités autochtones vivaient en Amérique du Nord, dont les peuples iroquois (connu sous le nom de Six Nations), mississaugas et hurons. Certains chefs pronaient à cette époque la neutralité mais la confédération des Six Nations finira divisée par les alliances passées avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. D'autres, comme le chef mohawk John Norton, jouèrent un rôle militaire décisif dans certaines batailles. Ces guerriers autochtones participeront surtout aux batailles survenant dans l'Ouest ou autour des Grands Lacs. L'enthousiasme soulevé par les premiers succès s'estompera cependant au fur et à mesure face à la victoire américaine lors de la bataille navale sur le Lac Erié le 10 septembre. Quant aux Britanniques, plus ou moins fiables, ils bénéficieront de l'appui indéfectible des peuples autochtones jusqu'à l'issue du conflit Malheureusement, cette guerre de 1812 aura été peu profitable pour les peuples autochtones : la Confédération sera dissoute et la Grande-Bretagne tirera un trait sur son projet d'Etat tampon pour protéger ses titres fonciers menacés par l'expansion états-unienne. Certes, le Traité de Gand de 1814 (qui mit fin au conflit) rétablit le statu quo d'avant la guerre, tout en reconnaissant aux Autochtones le droit de propriété sur les terres qu'ils occupaient avant les hostilités, mais les deux puissances étrangères ne respecteront pas ce traité. Les années suivantes, les Indiens assisteront en effet à la destruction de la plus grande partie du territoire autochtone situé à l'est de la rivière Mississipi par les Etats-Unis, avec déportation de populations entière dans l'actuel Etat d'Oklahoma. Quant aux Autochtones des Grands lacs, ils s'installeront au nord de la nouvelle frontière entre les deux nations, frontière alors très perméable. Aujourd'hui, ces communautés indiennes sont installées dans des réserves et des communautés du sud de l'Ontario et le long de la rive nord des Grands Lacs supérieurs. Les peuples autochtones qui vivaient jusque là en Amérique du Nord britannique perdront de fait leur autosuffisance et leur autodétermination : bientôt dominés numériquement par les colons sur leurs propres terres, ils verront disparaître leur influence politique et sociale.


 

L'autre partie de l'exposition aborde justement la vitalité des cultures autochtones malgré des siècles de contact avec les cultures européennes. On découvre dans une allée une réinterprétation d'un ancien diaporama qui se voulait être une représentation de la famille mohawk avant l'arrivée des Européens. Ce diaporama qui fut d'abord installé au Musée Royal d'Ontario en 1917 en sera retiré à la fin des années 1970. Les visiteurs sont ainsi conviés à repérer les interventions effectuées dans la nouvelle version du diaporama (un mélange de statues d'Autochtones portant des objets traditionnels mais aussi des objets technologiques de notre époque) puis à réfléchir aux stéréotypes d'une culture autochtone isolée et immuable présentée dans la version d'origine. Le musée a voulu démontrer que contrairement aux stéréotypes, les cultures autochtones (ou du moins ce qu'il en reste) ne sont pas des vestiges du passé et ont été influencées (le mot est faible!) par cinq siècles de contact avec les cultures européennes, qui ont tout de même laissé à ces peuples premiers leurs valeurs, croyances et coutumes.

Le reste de la section s'articule autour de l'expression et du maintien de ces grandes croyances et des coutumes haudenousaunees et anishinabes à travers la tradition orale, les systèmes d'organisation sociale et politique, la musique et les spectacles, l'activité politique et la transmission des motifs de génération en génération. J'admirerai sur place plusieurs objets dont une maquette représentant une maison longue iroquoienne (en photo ci-dessous). Cette habitation traditionnelle est en temps normal large de sept mètress et longue de 14 à ...100 mètres. Elle peut ainsi loger plusieurs familles apparentées. Après son mariage, l'homme habite dans la maison longue de la famille de sa femme, tandis que les rencontres politiques et les cérémonies importantes, elles, se déroulent dans la plus grande maison du village, plus probablement celle du chef. Plus loin, une robe à clochettes ayant appartenu à plusieurs communautés anishinabes en 1900 est toujours associée à un pouvoir de guérison. Un panier en écorce de bouleau et un porte-bébé à motif perlé datant du 20è siècle permet quant à lui d'apprécier la transmission d'un motif floral d'une génération à une autre au sein d'une famille anishinabe. La crise d'Oka (de 1990) se rappelle à nous avec une sculpture en stéatite, un drapeau du guerrier mohawk et un chandail commémorant le blocage du pont Mercier. Autant de symboles témoignant de la volonté des Premières Nations de préserver leurs cultures et leur identité. Dans une autre vitrine, je m'arrête devant la coiffure de guerre de Sitting Bull (deuxième photo), un cadeau fait au musée en 1915 par Sir William Van Horne, alors président du Canadien Pacifique. Notre homme avait reçu ce cadeau du major James Walsh de la Police à cheval du Nord-Ouest, qui l'aurait reçu de Sitting Bull en personne. Cette coiffure incarne des pouvoirs sacrés tout en représentant les pouvoirs guerriers de celui qui la porte. Les plumes évoquent l'aigle portant les prières au Créateur et leur disposition évoque directement le soleil.

Toujours au rez-de-chaussée du bâtiment, Bélinda et moi nous rendrons à quelques pas de là dans une autre galerie consacrée à l'histoire du Canada. Une fois sur place, l'histoire du Canada se retrouve mélangée à une autre exposition, temporaire celle-là, consacrée aux souffrances des Japonais du Canada. Un mélange de styles « décoiffant » ! Les Européens ayant pris connaissance de l'abondance de ressources dans cette partie du monde, viendront s'établir sur la côte Est de l'Amérique du Nord au 16è siècle, même si les premiers contacts eux avaient eu lieu un siècle auparavant. Très pudiquement, le musée nous apprend que ces colonisateurs dépendaient des Autochtones pour survivre dans ce nouveau territoire. Et que l'afflux continu d'immigrants multipliera les relations diplomatiques et les échanges croissants de biens et de connaissances entre colons et communautés autochtones. On concède toutefois que les rapports pouvaient être chaleureux, neutres ou violents, mais que c'est en reconnaissant le passé et en comprenant cette période historique complexe que le Canada pourra avancer. Pêcheurs français de Bretagne, du Pays basque et d'ailleurs, ou d'Espagne, du Portugal, d'Irlande ou d'Angleterre avanceront aussi de leur côté en faisant main basse sur les gigantesques bancs de morues, avant de mettre en place un commerce officieux de fourrures et de marchandises européennes avec les Premières Nations. Rapidement, un réseau de colonies concurrentielles vit le jour partout dans les Amériques, avec les Français et les Britanniques comme représentants des puissances dominantes. Ces derniers mettront alors en place un système de colonisation à grande échelle au début du 17è siècle, s'alliant au passage avec la Confédération iroquoise. Les Français, eux aussi, signeront des accords avec les Premières Nations. Mais peu à peu, l'étau se resserrera sur ces Premières Nations auxquelles les colons avaient déjà arraché les terres.


 

INFOS PRATIQUES :

 

  • «Exposition « Alliés souverains, cultures vivantes : Les Premières Nations des Grands Lacs », jusqu'au 4 janvier 2020, au Musée Royal de l'Ontario, Niveau 1, Galerie Daphne Cockwell des Premiers Peuples, 100, Queen's Park, à Toronto. Tél : 00 1 416 586 8000. Ouvert tous les jours de 10h00 à 17h30. Entrée : 23$.
  • Site internet : https://www.rom.on.ca/fr/expositions-et-galeries/expositions/allies-souverains-cultures-vivantes-les-premieres-nations-des

  • Le musée offre plusieurs expositions passionnantes dans un cadre somptueux (l'édifice à lui seul mérite une visite ne serait-ce que pour son architecture) mais l'organisation des galeries que j'ai visitées est un fatras et peut donc dérouter le visiteur. Le plus de ce musée : les panneaux d'information en langue anglaise et...française.









 



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