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La Côte du Soleil
(Ile de Madère, Portugal)
Heure locale


Mardi 7 novembre 2017

 

L'Espagne a sa Costa del Sol, et Madère a sa Côte du Soleil. Ce littoral est situé le long de la côte sud-ouest de l'île et doit son nom à l'ambiance estivale qui y flotte et à la présence notamment de nombreuses bananeraies. Certaines localités (Ribeira Brava, Ponta do Sol et Calheta) y sont d'ailleurs devenues des stations balnéaires et sont desservies par une via rapida très pratique et parcourue par plusieurs tunnels. Mais, au-delà de Calheta, la côte n'offre plus les conditions de la baignade car elle devient plus sauvage vers l'ouest. La géographie de l'endroit laisse alors place à un paysage de montagnes, et de petits villages ont trouvé refuge au pied de falaises, ou au bout de routes en cul-de-sac. Je prends cette fois la route en direction de Ribeira Brava, en passant par cette via rapida qui m'évite bien des lacets. Cette ville dont le nom signifie « rivière sauvage » est traversée par un torrent qui peut devenir rapidement impétueux à la saison des pluies. Ne nous fions pas au filet d'eau qui parcourt le lit de la rivière en temps normal...Historiquement, Ribeira Brava était un nœud de communication où les Madériens du nord descendaient afin de prendre le bateau pour se rendre à Funchal. La ville se situe dans une vaste région agricole avec abondance notamment de cannaies et de champs de blé (qui lui donnèrent jadis le surnom de grenier de Funchal).

Aujourd'hui, je gare mon véhicule sur un parking (0,50€ l'heure) et me promène dans la cité encore endormie. Il est encore tôt mais l'église Saint-Benoit (en photo ci-dessous) se dresse fièrement sur la place de l'église. Son parvis est fait de galets ronds et son clocher est coiffé d'une pyramide recouverte de carreaux de faïence disposés en damier. Le tout supportant la fameuse sphère placée au sommet, symbole du roi Manuel 1er et de la course des astres dans l'univers. A l'intérieur, se trouve une sculpture anversoise datant des années 1520 et représentant la Vierge légèrement penchée sur l'Enfant-Jésus (deuxième photo). Au fond de la nef et sur la gauche, je remarquerai une petite chapelle de couleur blanche et gris cendre, qui abrite un autel en bois dorée du XVII ème siècle, attribué à l'atelier de Manuel Pereira. Son retable flamand de 1515 met en scène une Adoration des Mages (troisième photo) sous le regard de deux anges flottant dans les airs, mais ce n'est qu'une copie puisque l'original est conservé au musée d'Art sacré de Funchal.

 

L'autre point d'intérêt de la ville est le musée ethnographique : le musée a trouvé refuge à l'intérieur de l'ancienne maison de Luis Gonçalvo da Silva, capitaine des ordonnances de Ribeira Brava. En 1853, un certain José Maria Barreto transformera le vieux manoir délabré en une usine d'eau-de-vie. L'énergie hydraulique y sera utilisée à partir de 1862 avec une roue en bois et un système composé de trois cylindres de fer. Cette demeure est le type même de seigneurie madérienne avec sa chapelle en vis-à-vis. L'endroit sera racheté en 1974 par le Comité du district autonome de Funchal pour en faire un musée.

Ma visite débute par la place de la pêche à Madère. J'admire ainsi le xavelha (ci-dessous), bateau typique à deux proues de sept mètres environ et originaire de Camara de Lobos. Une vitrine offre d'observer des lunettes pour explorer les fonds marins, le seau en bois servant à extraire l'eau du bateau, des lampes à pétrole, une âtre de pierre pour préparer les repas, des bouées en verre pour identifier les filets...Un petit canoë est aussi exposé et un ceirao (grand panier d'osier) y est accroché, qui sert à transporter l'appât vivant. Il existe à Madère trois appareils traditionnels de pêche : les hameçons (on en compte quatre, le bâton du gaiado, le bicheiro, la briqueira et l'appareil das espadas), les filets et les nasses, tous abondamment décrits dans le document qui vous est gracieusement remis à l'entrée.

 

La salle suivante est dédiée aux moyens de transport, et l'on y expose entre autres les chars chioes, tirés par des bœufs. Ces véhicules transportaient de lourdes charges et grinçaient beaucoup compte tenu de leur fabrication artisanale. Appelés chars à vaches, ils étaient presque exclusivement utilisés en montagne pour ramasser le bois. Il existe le même char à Porto Santo, mais celui-ci était réservé au transport de plus petites charges adaptées aux travaux agricoles locaux (battages, vendanges...). J'observerai également d'autres objets comme la corsa (en photo ci-dessous) ou la voiture-panier.

 

l'exposition permanente aborde maintenant la tisseranderie : l'industrialisation progressive de l'île conduira peu à peu à l'extinction des activités lainières traditionnelles, dont je peux ici admirer certains objets. Ici, on cultivait autrefois le lin, qui était travaillé après la récolte. Tannée, lavée, séchée, la plante était ensuite mouillée à l'aide d'un maillet puis subissait d'autres opérations avant d'être filée à l'aide d'une broche ou d'une quenouille. Le métier à tisser madérien, instrument complexe, intervenait alors et était souvent à pédale horizontale, avec deux ou quatre lisses.

 

La cuisine (ci-dessous) était autrefois la pièce la plus importante de la maison. On y préparait non seulement les repas mais on y passait surtout les trois-quarts de son temps, au coin de l'âtre. Dans les habitations au toit de chaume, cette pièce était séparée du reste de la maison, par mesure de sécurité. L'endroit possédait un four à pain, et la pâte était préalablement pétrie dans une huche à pétrir, par les femmes qui bénissaient le pain avant de le laisser reposer. Le pain « sorcier » était celui qui n'avait pas bien levé et était donc impropre à la vente. Il était alors consommé par la famille.

 

Une section de l'exposition est bien sûr consacrée à la production des céréales : on peut ainsi observer le cycle du blé, depuis le grain de semence jusqu'à sa récolte et son arrivée au moulin. Celui-ci était semé en janvier et février, pour être moissonné en juin. L'araire et la houe étaient les deux instruments qui étaient utilisés pour préparer la terre avant les semailles. La plante était ensuite récoltée à la main (en l'arrachant pour récupérer la paille) sur l'île de Madère tandis qu'à Porto Santo, on utilisait une serpe à jardiner. Le battage servait à extraire le grain, à l'aide de divers outils (le maillet, le fléau ou l'aire, ou l'égrenoir à Porto Santo). Plusieurs de ces instruments sont exposés dans une salle, dont les moulins à main, et les cochos. La mécanisation des battages sera lente à cause notamment de la petitesse des terrains souvent accidentés. La première machine madérienne à battre le blé apparaitra sur l'île à la seconde moitié du XX ème siècle.

 

La chambre (ci-dessous) avait également son importance dans la demeure madérienne. Petite pièce dans les maisons populaires, elle est séparée de l'autre chambre par une simple cloison et est équipée d'une fenêtre. Son mobilier est simple et fonctionnel:un lit en fer forgé, une table de nuit, une huche pour entreposer le linge, voire une commode, un lavabo, un bidet et une baignoire, selon l'opulence de la demeure.

 

Dans la culture madérienne, l'épicerie (ci-dessous) tenait une place non négligeable. Familièrement appelées vendas, la majorité de ces échoppes ont certes disparues mais on peut encore en rencontrer quelques-unes. On les reconnaît à leurs balances à poids, leurs caisses enregistreuses manuelles, leurs machines à mesurer l'huile d'olive ou le pétrole, leurs guillotines destinées à couper la morue et leurs moulins à café...Le vendeiro (l'épicier) appelait les clients par leur nom et connaissait bien leurs habitudes. Les achats, eux, étaient livrés à domicile. La plupart des clients venaient avec leur liste (rol) et l'épicier préparait les courses qui étaient souvent réglées à crédit. Ce commerce généraliste (on vendait un peu de tout et en petite quantité) était appelé vente au numéro. Le même édifice servait d'ailleurs bien souvent d'épicerie et de café, et on y récupérait aussi son courrier. Lieu de commerce, l'épicerie-bar formait surtout un lieu de convivialité et d'échanges, où l'on jouait souvent aux cartes ou aux dominos...la taverne formait quant à elle un rituel de passage où le jeune garçon ne devenait par exemple homme qu'après avoir subi sa première cuite en public. L'épicerie ici reconstituée était jadis installée à Apresentaçao, un hameau de Ribeira Brava.

 

Terminons ce tour d'horizon avec la culture de la vigne. L'île de Madère possède de nombreux vignobles, et lorsque le temps des vendanges était arrivé, serpes et couteaux entraient en action. On coupait les raisins dont on remplissait les hottes, le tout finissant au pressoir où on foulait le fruit à pieds-nus. La salle dédiée permet d'observer deux types de pressoirs : le pressoir à côcho (le plus répandu chez les petits propriétaires aux XVII et XVIII ème siècle) et le pressoir à vis (de forme quadrangulaire). Le jus qui sortait de ces pressoirs était alors versé dans des outres en peau de chèvre, pour être transporté vers les chais.

 

Ma prochaine étape : Ponta do Sol. Cette petite ville de moins de 5000 âmes encaissée entre deux promontoires a connu ses heures de gloire du temps de la canne à sucre. Là travaillaient au XV ème siècle les esclaves noirs enlevés sur les côtes de Guinée pour mettre en valeur des plantation de canne, des plantations remplacées depuis par des bananeraies. Les grands propriétaires terriens de l'époque ont depuis disparu et seules quelques maisons aux façades fleuries subsistent encore dans la cité. L'église Notre-Dame de la Lumière (en photo ci-dessous) se dresse au-dessus des toits des maisons. Fondée en 1486, elle comporte une charpente qui coiffe le choeur, de style mudéjar, et ses fonds baptismaux sont perceptibles dans la pénombre à droite. La cuve en céramique verte aurait été fabriquée à la fin du XVI ème dans un atelier de Séville (Espagne), puis offerte par le roi Manuel 1er.

 

Une grande maison (ci-dessous) attire mon attention : cette demeure cossue appartint au XIX ème siècle à Manuel Joaquim Dos Passos, le grand-père du romancier et peintre américain John Dos Passos. Ce dernier poursuivra son œuvre littéraire pour commenter les évènements du XX ème siècle, ce qui lui vaudra souvent la réputation d'un critique acharné de la politique et du mode de vie américain. Proche des libertaires lors de l'affaire Sacco et Vanzetti, il développera des sympathies communiste durant les années 1920-1930, avant de changer de cap. John Dos Passos naquit à Chicago, mais était issu d'un père madérien, avocat aisé. Notre écrivain reviendra à Madère à trois reprises, d'abord en 1905 à l'âge de 9 ans et pour une simple visite familiale, une seconde fois en 1921, pour une courte escale à Funchal, lors d'un voyage en Europe, et une troisième fois en 1960, lorsque tout le village de Ponta do Sol lui réserva un véritable triomphe avec sa femme Elizabeth et sa fille Lucy. L'homme publiera The Portugal Story, en 1970 et juste avant sa mort, un ouvrage rendant hommage à la mémoire lusitanienne. La petite exposition qui est présentée au premier étage de la demeure aborde les différentes étapes de sa vie.


 

Je ne ferai qu'un court passage à Calheta, car l'endroit me semble sans âme. Autrefois paroisse très attachée à ses traditions, cette station balnéaire a tout misé sur le tourisme. Son front de mer sans charme a son propre port de plaisance et sa plage artificielle (Praia de Areia da Calheta). Même la petite église de l'Esprit Saint est fermée. C'est dommage car celle-ci possède à l'intérieur une voute à entrelacs mudéjars, un ensemble de statues en bois représentant les apôtres, datant du XVII ème siècle, et un tabernacle en ébène incrusté d'argent.

Je me réfugie quelques instants dans l'ancien moulin à sucre (Engenhos da Calheta) qui fut construit en 1901 et est l'un des seuls moulins de ce type encore en activité dans l'île. Ce moulin fabrique désormais du rhum et du sirop de canne et sa salle des machines importées d'Angleterre au début du XX ème vaut le détour. Ces machines ne fonctionnent malheureusement qu'au moment de la récolte de la canne (entre mi-mars et début mai) mais des panneaux explicatifs révèlent les différentes phases de fabrication du rhum.

 

Je prends maintenant la route pour Jardim do Mar (ci-dessous), un petit village de quelques 200 habitants, bâti sur un éboulement de falaise. On est prié de se garer à l'entrée du village car celui-ci ne comporte que des venelles (allées) trop étroites pour la circulation automobile. Les paroissiens,eux, érigèrent leur église (deuxième photo) en 1907 grâce à l'argent reçu de parents alors expatriés au Vénézuela. Se balader dans les venelles bordées de végétation, descendre de minuscules escaliers pour se rendre sur la promenade du front de mer, puis remonter les escaliers descendus (c'est excellent pour les muscles ischio jambiers !) est un ravissement.


 

L'extrémité occidentale de Madère se trouve à Ponta do Pargo (Pointe du Pagre). Les marins de Zarco l'appelleront ainsi car à leur arrivée, ils y pêcheront d'énormes pagres, un poisson proche de la daurade. Pour m'y rendre, j'emprunte la route ER 223, après avoir franchi le tunnel de 2,5 km qui va de Jardim do Mar à Paul do Mar. Une interminable route à lacets m'attend ensuite avec de superbes paysages de montagne. La construction de cette vertigineuse route coutera la vie à plusieurs ouvriers mais permettra de raccorder le reste de l'île à Paul do Mar en 1968. Ponta do Pargo est désormais un bourg agricole bien tranquille dont le principal intérêt réside dans son phare (ci-dessous) érigé en 1922. Son faisceau lumineux, situé à 312 mètres d'altitude, balaie l'océan sur 26 miles marins. L'endroit offre un panorama spectaculaire (deuxième photo) sur le littoral. Les plus patients guetteront l'envol des oiseaux marins (puffins cendrés, océanites de Castro...) qui nidifient dans les falaises proches.


INFOS PRATIQUES :

  • La via rapida est comme son nom l'indique, une voie rapide et pas une autoroute. Elle ne comporte donc pas de péages.
  • L'église Saint-Benoit de Ribeira Brava (Praça da Igreja Matriz)

  • Musée ethnographique, Rua da San Francisco, 24, à Ribeira Brava. Tél : +351 291 952 598. Ouvert du mardi au vendredi de 9h30 à 17h00 et les samedi et dimanche de 10h00 à 12h30 et de 13h30 à 17h30. Entrée : 3€ (venir avec l'appoint). Gratuit le dimanche. Documentation explicative en français (sur simple demande). La prise de photos suppose de remplir un document. Boutique. Site internet : https://www.facebook.com/museuetnografico.damadeira/

  • Une exposition temporaire est également présentée au musée. Son thème : la confection artisanale d'objets en bois de canne.

  • A Ponta do Sol, il est possible de se garer gratuitement à l'intérieur d'un tunnel (à gauche en arrivant face au front de mer) interrompu dans sa construction suite à des éboulements de falaise.

  • Igreja Matriz de Nossa Senhora da Luz, Largo da Igreja, Ponta do Sol. Ouvert uniquement l'après-midi du lundi au vendredi et le jeudi matin.

  • Artisanat local à Ponta do Sol : https://www.facebook.com/Cantinho-de-Artes-e-Of%C3%ADcios-da-Ponta-do-Sol-625300637636351/?ref=br_rs

  • Centre culturel John Dos Passos, Rue Principe D.Luis 3, à Ponta do Sol. Tél : +351 291 974 034. Ouvert du lundi au vendredi de 9h00 à 12h30 et de 14h00 à 17h30. Entrée libre.

  • Moulin à sucre, Avenida D.Manuel 1er, 29, à Calheta. Tél:+351 291 822 264. Ouvert du lundi au samedi de 8h00 à 19h00 (20h00 l'été). Site internet : http://www.ivbam.gov-madeira.pt/fran%C3%A7ais-1319.aspx

  • Ponta do Pargo : http://www.visitmadeira.pt/fr-fr/explorer/detalhe/belvedere-du-phare-de-ponta-do-pargo












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