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Exposition "La Rue Réaumur, Architecture industrielle et commerciale"
(Musée de la Tour Jean sans Peur, Paris, France)
Heure locale

 

Lundi 19 mars 2018

 

Notre homme fut physicien et naturaliste français, et fit preuve d'imagination en proposant un moyen d'éteindre les incendies, puis de permettre aux carrosses de sortir des ornières. Rochelais de naissance, il sera un homme complet s'intéressant à une foule de choses (de la géométrie à la métallurgie et la sidérurgie, en passant par l'histoire naturelle et les recherches physiques). Il s'agit bien sûr de René-Antoine Ferchault de Réaumur, plus communément appelé Réaumur, qui verra son nom attribué à une célèbre artère de Paris : la rue Réaumur.

La Tour Jean sans Peur (Paris) nous invite actuellement, et jusqu'au 2 mai prochain, à découvrir l'histoire de cette rue dont les travaux seront engagés laborieusement en 1851. Il faudra en effet plus de 40 années pour finaliser le tracé de 1345 mètres de cette voirie reliant le square du Temple au Palais Brongniard, cœur des échanges de la Bourse de Paris. Ce chantier subira les affres du coût des expropriations et l'instabilité politique du siècle mais aboutira tout de même à l'inauguration de la fameuse artère en 1897, faisant ainsi de la rue Réaumur le centre des confections, des finances et de la presse. Encouragés par le premier concours de façades organisé par la Ville de Paris, les architectes feront de cet axe un laboratoire d'architecture industrielle et commerciale à travers le soin accordé à ses immeubles.


 

Sous le règne de Napoléon III, l'espace public parisien bénéficiera de longues perspectives suite à des travaux d'embellissement et la rue Réaumur de participer à un vaste programme d'assainissement des vieux quartiers formant alors des citadelles revanchardes. Le Conservatoire des Arts & Métiers se dresse alors au sein de ce quartier, dans l'ancien prieuré Saint-Martin des Champs, pris dans un enchevêtrement d'immeubles. La rue Réaumur permettra de dégager ce site enclavé par la cour Saint-Martin, et les travaux, qui se dérouleront de 1854 à 1858, permettront l’élargissement de la voie et son raccordement à la rue du Temple. Encore aujourd'hui, les premiers numéros pairs de la rue Réaumur conservant encore d'anciens immeubles bas dénués de tout ornement. A l'ouest, les travaux progresseront vers la rue Notre-Dame des Victoires et le Palais Brogniard, avant de s'arrêter soudainement au croisement de la rue Saint-Denis, à cause du nombre élevé et des coûts importants des expropriations à mener, sans compter la détérioration du climat politique d'alors (chute de l'Empire, insurrection de la Commune, instabilité républicaine et assassinats et faillites bancaires). Si bien qu'en 1892, le Conseil municipal rechignera à voter la relance d'un chantier estimé à 50 millions, mais les élus locaux imposeront toutefois l'achèvement de la rue comme paradoxalement l'occasion de réaliser des économies, en profitant du creusement de la rue Réaumur pour aménager en même temps un tunnel pour le métro, clou annoncé de l'Exposition universelle de 1900.

Le dernier tronçon de la rue sacrifiera un grand nombre de maisons dont certaines remontaient au XVIIè siècle et taillera à vif dans cet ancien tissu urbain. Les habitants, eux, devront supporter, de longues années durant, la présence de maçons et de terrassiers (ci-dessous) d'ailleurs immortalisés par le sculpteur Charles-Antoine Bailly. Et la rue Réaumur de prendre peu à peu l'apparence d'un petit boulevard, à partir de 1894, avec ses larges trottoirs, et sa chaussée de douze mètres de large revêtue de pavés de pierre dure. Entre la rue Saint-Denis et la rue des Petits-Carreaux, la chaussée s'élargira d'un terre-plein (orné des seuls arbres de la rue) et d'une chaussée secondaire. Le terre-plein abritera une station de voitures, des urinoirs, des bancs, des kiosques à journaux et des locaux municipaux. Sous la rue, un tunnel du métro prendra forme avec les canalisations imposées par les règles de salubrité publique. Et les égouts de se heurter aux vieux murs, à des puits abandonnés, à des fosses d'aisances et même parfois à d'anciennes sépultures. Malgré tout, le chantier se poursuivra de jour comme de nuit grâce à l'éclairage électrique fourni par l'usine municipale des Halles.


 

Trois ans plus tard, en 1897, le cortège inaugural de la rue Réaumur est mené par le président Félix Faure accompagné du préfet de la Seine, et du président du Conseil municipal. Et le lorrain Jean-Baptiste Gobert de faire bientôt l'acquisition d'un ilot entier de terrains pour bâtir de grands magasins de modes aux N°82-92 (en photo ci-dessous). Dix-neuf travées ajourées s'organiseront autour d'un espace central éclairé par une verrière. Des matériaux riches comme le granit poli, la pierre sculptée, le bois des îles, les bronzes ciselés ou la mosaïque d'or participeront à la séduction de la future clientèle du magasin. Le 14 avril 1897, Félix Faure se déplacera en personne pour célébrer l'ouvertures des grands magasins, quatre mois seulement après la pose de la première pierre et quelques semaines après l'inauguration de la nouvelle rue. Clou du spectacle, l'horloge mosaïquée incitera les passants à marquer « l'arrêt au mur », possible jeu de mots.


 

L'année suivante, la Ville de Paris aura la bonne idée de lancer le premier concours de façades, dans le but d'encourager les nouveaux propriétaires à soigner leurs immeubles. Cinq membres du Conseil municipal intègrent alors le jury composé de représentants des propriétaires d'immeubles et d'architectes. On affiche alors clairement l'ambition d'offrir aux promeneurs une exposition de maisons dans la rue même. Et le jury du concours d'exiger désormais « pittoresque et imprévu dans la construction des maisons et la décoration des façades », venant contrarier quelque peu le modèle précédemment imposé par le baron Haussmann. Le règlement du concours autorisera en effet la possibilité de saillies multipliées et l'assouplissement des règles en matières de hauteur et de relèvement des corniches. Les immeubles gagneront bientôt en verticalité et dômes et rotondes rythmeront de nouvelles perspectives. La construction de ces immeubles sera bien entendu confiée à des maitres d'oeuvre expérimentés, des architectes formés aux Beaux-Arts, parfois grand prix de Rome, et dont la plupart seront investis de responsabilités officielles comme Charles Lemaresquier, Jacques Hermant, Georges Chédanne ou Ernest Pergod. Le style Art Nouveau influencera aussi les jeunes Charles de Montarnal et Charles Ruzé dont les immeubles marqueront le tournant de leur carrière. Chaque construction sera divisé en étages de boutiques, d'ateliers et de bureaux, avec, au sommet, des logements. La façade commerciale déclinera soubassement, étages nobles, corniches et balcons, tandis qu'on verra apparaître de larges baies puis des ascenseurs, le chauffage central et l'éclairage. L'immeuble N°97 profitera même d'un accès intégré au métro de la station Sentier. Bâtis par ilots entiers, les immeubles nécessiteront des engins élévateurs adaptés. Ainsi les grands magasins « A Réaumur » seront-ils construits à l'aide de grues spécialement conçues pour ce chantier. L'innovation se trouvera également dans les carrefours comme au croisement des rues Réaumur et De Cléry, avec l'immeuble N°101, copie du Flatiron building de New-York avec son profil « en fer à repasser », qui sera livré en 1902.


 

Les patrons des grands magasins « A Réaumur » surveillent alors la bonne marche des ateliers et des magasins installés à l'angle des rues Dussoubs et Réaumur, depuis la baie de leur salon du 4è étage. L'enseigne diffuse alors des catalogues de prêt-à-porter réservés parfois à des clientèles spécialisées comme les domestiques, les religieux, les chasseurs,ou les automobilistes. Sur place, des échantillons de tissu permettent de juger de leur qualité. Aux N°61-63, s'élève le « Palais byzantin » (en photo ci-dessous), construction de Philippe Jouannin et d'Edouard Singery, évoquant une majestueuse façade d'église. L'endroit est alors voué au culte de la mode et du prêt-à-porter. Dès 1900, les magasins organisent des salons et proposent une sélection renouvelée de gants, chapeaux, dentelles, éventails et parfums (deuxième photo). La Maison Mahler, Laval et Adam, occupe pour sa par le N°124, fameux « Palais de l'acier ». Au N°116, la maison de flanelle et molleton Storch sera dédiée à la confection en gros pour dames et fillettes. Quant à la maison Félix Potin, elle s'affirmera en ce début du XX ème siècle comme la plus grande épicerie de Paris et fabriquera elle-même à la Villette les produits ensuite vendus sur les boulevards. Son vaste magasin, sis au N°51 de la rue Réaumur, sera qualifié de « style Louis XVI ampoulé » par les historiens de l'architecture, avec sa vaste rotonde coiffée d'un dôme à oculi qui fera penser à une bonbonnière où chocolats, biscuits, conserves, fruits confits et café torréfié seront proposés au chaland. Ah, la Belle Epoque !


 

Dès la fin du XIX ème siècle, apparaitra les surnoms de « Triangle d'or » ou « République du Croissant » pour désigner le fourmillant quartier de la presse, dont l'épicentre sera formé par la rue du Croissant et la rue Montmartre. La rue Réaumur prend alors l'image d'une rédaction à ciel ouvert avec ses journaux de cotation boursière, ses titres à grand tirage d'information et de communication, comme Antenne et Radio programmes illustrés installés au N°53. Le quotidien du soir L'Intransigeant, sera quant à lui le premier à s'installer au N°100 (ci-dessous en photo, le portail) à l'intérieur des spacieux locaux du « Palais de la Presse ». Ce titre sera bientôt remanié puis absorbé par France-Soir, fondé en 1945 et demeuré sur place jusqu'en 1998. Entre temps, d'autres titres officiels ou clandestins, collaborationnistes ou issus de la Résistance, occuperont plusieurs étages de ce vaste immeuble réalisé par l'architecte Pierre Sardou : longue façade de pierre avec de larges vitres, avec des décors sculptés sur les frontons, œuvre du sculpteur et ouvrier d'art Henri Navarre. A l'entrée, les médaillons du portail central représentent les modes de diffusion de l'information, anciens et modernes, dont le train, la voiture et l'avion.


 

INFOS PRATIQUES :

  • Exposition »La Rue Réaumur, Architecture industrielle et commerciale » jusqu'au 2 mai 2018, au Musée de la Tour Jean sans Peur, 20 rue Etienne Marcel à Paris (2è). Tél : 01 40 26 20 28. Métro : Etienne Marcel (ligne 4). Ouvert du mercredi au dimanche, de 13h30 à 18h00
  • Merci à Madame Lavoye pour son charmant accueil

  • Un petit guide d'aide à la visite de la rue Réaumur est disponible à la boutique du musée.









 



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