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Musée d'Art et d'Histoire d'Albertville
(Maison Rouge, Conflans, Albertville, Savoie, France)
Heure locale

 

Lundi 30 septembre 2019

 

Albertville témoigne d'une histoire riche qui nous enseigne comment on vivait ici dès l'époque gallo-romaine. La ville en question n'est elle pas le fruit de la fusion entre deux communes anciennes, L'Hopital et Conflans en 1836 selon le bon vouloir de Charles Albert, roi de Sardaigne ? Ce qui peut soulever des questions. Pour y répondre, et en apprendre davantage, j'ai aujourd'hui rendez-vous avec Evelyne Estades, du service urbanisme de la ville d'Albertville, qui m'ouvre exceptionnellement les portes du Musée d'Art et d'Histoire de la cité. Et d'en apprendre plus sur Albertville et la Savoie en général, à travers cette visite guidée taillée sur mesure, une visite que je vous invite à suivre également en regardant la vidéo jointe à cet article.

 

Le Musée d'Art et d'Histoire d'Albertville a trouvé refuge à Conflans, cité médiévale, et plus exactement à l'intérieur de la célèbre Maison rouge. La cité se trouvant idéalement au carrefour des vallées de La Combe de Savoie, de la Tarentaise, du Val d'Arly et du Beaufortain, elle devient un poste fortifié d'abord occupé en coseigneurerie par la noblesse locale et l'Archevêque de Tarentaise, jusqu'à la prise de contrôle de l'endroit par la Maison de Savoie. Peu à peu, la Savoie se transforme sous l'autorité de ses comtes, dont certains songent sérieusement à renforcer leurs défenses. C'est alors que Conflans s'enrichit du Château rouge, et de la Maison rouge, construite pour Pierre Voisin, alors Secrétaire du Comte Vert Amédée VI, à la fin du 14è siècle. Ces deux édifices « rouges » ont cela en commun qu'ils ont été érigés en brique, matériau nouveau dans la région dès le 12è siècle, notamment pour ses qualités architectoniques et décoratives. La brique répond en effet à trois exigences de l'architecture militaire : économie, rapidité d’exécution et efficacité. En 1397, la Maison rouge, qui donne sur la Grande Place, est achevée. Cossue, elle possède trois étages et en impose par les ornements de sa façade extérieure. Au Moyen-âge, toutes les maisons étaient ainsi peintes et marquaient l'opulence de leur propriétaire. Après la mort de Pierre Voisin, plusieurs familles se succéderont dans cette demeure, souvent trop grande, jusqu'au jour où les Bernardines rachètent l'édifice pour 7500 florins, le 12 décembre 1714. A charge pour elles de rénover la grande bâtisse, dont le fameux plafond à la Française. En 1792, la congrégation des religieuses est formée de 22 sœurs, et se doit de loger une fraction du 5è Bataillon des volontaires de l'Isère, avant de voir plus tard l'armée réquisitionner l'intégralité de la Maison rouge devenue couvent, pour en faire une caserne.

Par décret de Napoléon 1er datant de 1806, la Maison rouge est concédée gratuitement à la commune pour y loger un établissement d'éducation charitable et d'instruction pour jeunes personnes, une mission aussitôt confiée aux Bernardines. De 1814 à 1815, l'édifice abritera même le Sénat de Savoie, puis le gouvernement sarde loue ses bâtiments à l'évêque de Tarentaise, jusqu'à leur rétrocession aux finances royales en 1839. Lors de l'annexion de la Savoie à la France, l’endroit servira à nouveau de caserne jusqu'à la Première guerre mondiale, pour deux compagnies de Chasseurs Alpins. Le début du 20è siècle verra la Maison rouge classée en tant que Monument Historique (en 1904).


 

C'est ainsi que la célèbre demeure deviendra peu à peu musée, dès 1936, d'abord sous la forme d'une exposition d'art et de traditions, enrichie d'objets offerts sous forme de dons, tout en cohabitant avec les Bernardines. Le Musée municipal nait en 1956, puis s'enrichit d'une section Archéologie, installée au premier étage du bâtiment : depuis la fin du Néolithique, les Alpes savoyardes furent des lieux de passage, occupés par les Ceutrons, les Graiocèles, les Médulles ou les Allobroges, jusqu'à ce que la conquête de la Gaule n'impose l'autorité de Rome. Et la Savoie, une fois conquise, d'être alors partagée en trois provines, la Gaule Narbonnaise, les Alpes Graies et les Alpes Cottiennes. Au cours de notre visite, Evelyne attire mon attention sur la période gallo-romaine qui s'exprime à travers les objets récoltés lors des fouilles du site archéologique de Gilly-sur-Isère, où fut découverte la mosaïque en photo ci-dessous, à l'intérieur d'une villa romaine datant du premier quart du 2è siècle.

 

La salle suivante nous conte, du 18è siècle à fin 19ème, l'histoire moderne et contemporaine des deux bourgades qui formeront Albertville en 1860, à savoir L'Hôpital-sous-Conflans, situé sur la rive Est de l'Arly, et son ainée, Conflans. A L'Hôpital, le trafic s'anima au fil des siècles grâce au franchissement de la rivière par le pont des Adoubes (Tanneurs) au pied de la montée vers Conflans, et « la voiture de sel » de donner naissance à de nouvelles activités à la fin du 18è siècle. De son côté, Albertville, la nouvelle cité devient sous-préfecture et ville de garnison, avec un militaire pour trois habitants. Et de prendre ainsi une place importante dans le système de fortification dit Séré-de-Rivières. Une plaque en céramique, qui témoigne de la pose de la première pierre lors de l'endiguement de l'Isère par le roi Charles-Félic en 1824, est visible au musée. On peut aussi y admirer le couvre-chef du sous-préfet d'Albertville (1870).


 

Toujours au premier étage, le musée consacre une grande section aux arts populaire et sacré (ci-dessus). L'art baroque y occupe bien sûr une place importante car c'est l'enfant chéri des Savoyards. Cette période foisonnante pour la création n'occulte pas les merveilles du Moyen-Âge ou l'émotion sensible et perceptible produite par les objets de dévotion du quotidien, comme ces images pieuses pourtant réalisées en série au 19è siècle. Dès le 16è siècle, la Savoie devient une citadelle du catholicisme, barrant la route de l'Italie à la Réforme. Les ducs de Savoie prennent alors des mesures visant à lutter contre le protestantisme et à mieux faire respecter les dogmes catholiques. Ils sont aidés dans leur mission par des hommes d'église comme Saint François de Sales et aussi les nouveaux ordres religieux (Bernardines, Capucins). Des siècles durant, l'Eglise catholique organisera ainsi la vie des Savoyards, à travers rites et sacrements, d'où cette ferveur religieuse très forte et unanime s'exprimant lors, par exemple, de la reconstruction d'églises (celle de Conflans débuta en 1701), le développement de confréries (celle des Pénitents Blancs était très active à Conflans) ou dans le culte des saints dont on cherche à obtenir les protections contre les fléaux touchant le bétail ou les moissons.

Certes considéré comme une idolâtrie par les Protestants, il demeure que le culte de la Sainte Vierge, réaffirmé par le Concile de Trente, restera très populaire en Savoie. En dehors du 15 août, Fête de l'Assomption, la Sainte Vierge était célébrée à de nombreux moments de l'année liturgique. D'ailleurs, l'église de Conflans ne lui est elle pas dédiée ?


 

Juste à côté, une salle plus petite traite du mobilier bourgeois qui témoigne de la rationalisation qui s'impose dans les intérieurs. Le mobilier se spécialise en cette fin de 17è siècle, et le coffre à usages multiples de bientôt laisser la place à des meubles plus fonctionnels comme la commode. Le bois, matériau par excellence, est omniprésent en Savoie et est accompagné de nombreux savoir-faire, souvent ancestraux, de croyances et de comportements sociaux. Le mobilier en bois est ainsi le reflet de la mise en valeur des ressources naturelles locales et des échanges culturels ayant animé les terres savoyardes, avec son lot d'influences extérieures.

Dès la fin du 17è siècle, on distingue le mobilier « des villes » à l'heure où les maisons découvrent le couloir et où chaque pièce a sa fonction propre. Le bois de noyer sera plus particulièrement utilisé chez les gens aisés, bourgeois et nobles, qui commandent leurs meubles selon la mode du moment. L'exposition nous offre ainsi d'admirer une commode en noyer (pour l'extérieur) datant de la fin Louis XIV et ornée de garnitures anciennes en bronze d'ameublement. Je noterai enfin la présence d'une armoire de la même époque, de facture lyonnaise, en noyer massif et équipée de pieds tournés en « raves ».

Actuellement fermée pour travaux, je ne pourrai pas cette fois admirer la section consacrée au mobilier des montagnes et aux intérieurs conflarains, mais ce n'est que partie remise. Une chambre aménagée y montrait l'importance de la foi par la présence d'un prie-dieu tandis qu'un écran à main posé sur une table servait jadis aux dames pour protéger leur visage de la chaleur de l'âtre. L'âtre, parlons-en. Il était le pilier de la famille, à la fois foyer de chaleur, source de lumière et lieu de vie de la maisonnée.

 

Evelyne et moi montons maintenant au second étage de la Maison rouge et découvrons la section d'exposition consacrée à l'agriculture et à l'élevage : en Savoie, tout est question de gravité et il faut se battre sans cesse avec la pente, d'où l'existence d'un certain nombre d'objets (remonte terre, cassa-co) de la vie quotidienne à l'image de ce botta-cul, tabouret de berger à un pied, gravé minutieusement par son détenteur. Car, comme l'affirme Evelyne dans la vidéo, un objet utilitaire peut être à la fois utile et joli. Et pour combattre l'hostilité du relief savoyard, l'homme de s'être livré depuis des siècles à un travail titanesque, consistant à remonter vers le haut la terre qui a glissé vers le bas au cours du labour, à conquérir des espaces cultivables, à remplacer le chariot par le traineau dans la pente, à préférer le mulet au cheval dans les passages difficiles, ou à charger soi-même, et à dos d'homme, herbe, fumier, terre et victuailles, le tout dans des hottes, des sacs ou des bâts....Il faut dire que, jusqu'au 19è siècle, l'économie savoyarde était essentiellement liée à l'agriculture en pays de Savoie. Montagne (pour l'élevage) et plaine (pour la culture des céréales) étaient alors complémentaires, parallèlement à la mise en place d'un savant système d'échanges, comme ces trois foire annuelles conflaraines et le dynamique marché de Conflans du samedi. Notons enfin la richesse de l'artisanat local, grâce aux abondantes ressources en peaux (compte tenu de l'élevage montagnard) qui permit la naissance d'une filière du cuir, plaçant ainsi les cordonniers savoyards dans la catégorie professionnelle de tête à Conflans, juste derrière les cabaretiers. Malgré tous ces efforts, rien n'empêchera l'apparition ponctuelle de disettes ou l'émigration de certains vers les régions voisines.

 

Ce n'est qu'à la fin du 19è siècle que le ski, né dans les pays nordiques, fera une timide apparition dans les Alpes. D'abord méfiants, les militaires français l'adopteront tout de même dès le 20è siècle, comme moyen de déplacement. Et de contribuer malgré eux à sa popularité. La montagne deviendra peu à peu une destination touristique hivernale, surtout avec l'installation des premières remontées mécaniques, au cours des années Trente, puis des « téléskis » quelques années plus tard, qui entraineront un essor fulgurant du ski de descente. Dès 1909, Albertville accueillera la semaine des sports d'hiver initiée par le Club alpin français, avant de conquérir la planète entière avec les J.O d'hiver d'Albertville et de Savoie en 1992. A partir de 1955, l'essor de la pratique du ski alpin va entrainer une urbanisation de la montagne (comme à Tignes, Val d'Isère ou La Plagne), faisant définitivement basculer la Savoie d'une époque paysanne millénaire à l'ère moderne (avec ses 80 stations de ski et ses 4000 remontées mécaniques). L'exposition m'offrira en tous cas l'occasion de découvrir un bobsleigh datant de la première moitié du 20è siècle, sans oublier de magnifiques affiches peintes (ci-dessous) vantant les mérites de la glisse.


 

Cette visite ne serait pas complète sans aborder l'exposition présentée par le musée sur les figurines de Bessans (ci-dessous). Bessans, petit village savoyard de Haute-Maurienne est réputé pour ses sculpteurs sur bois qui embellirent les églises à l'époque baroque. Et de développer durant le 19è siècle la production de figurines pour la plupart articulées, et sculptées essentiellement en arolle (bois de pin cembro) pendant l'hiver, pour servir d'activité d'appoint. Les figurines ici exposées furent réalisées par plusieurs sculpteurs entre la seconde moitié du 19è siècle et la première moitié du 20è. Parmi ces sculpteurs se trouve Etienne Vincendet, surnommé « Etienne des Saints » suite à sa prolifique production de ce genre de figurines mesurant environ 25 cm de hauteur, aux bras articulés, aux couleurs vives et vêtues en costumes d'époque. Ces figurines représentent des Bessanais, mais aussi des oiseaux ou des mulets. Si, chez les Vincendet, on ne signe pas ses œuvres, d'autres apposent en revanche leur marque, voire une date.

La plus populaire des production des statuettes reste sans doute celle du diable de Bessans (deuxième photo), dont le premier sculpteur serait...Etienne Vincendet, à la suite de la suppression, par le curé de Bessans, des repas annuels donnés aux chantres de l'église en 1857. Et notre homme de sculpter dans la nuit un diable affreux à regarder emportant un prêtre, et de déposer la sculpture devant la porte du presbytère. Démasqué par son talent d'artisan, ladite statuette sera dès le lendemain retournée à son envoyeur, mais un passant achètera l'objet, faisant naitre ainsi une légende.


 

INFOS PRATIQUES :

 

  • Musée d'Art et d'Histoire d'Albertville, Maison Rouge, 18 Grande Place, à Conflans (Albertville). Tél : 04 79 37 86 86. Plein tarif: 4€. Audioguides en français, anglais et en audiodescription pour les personnes malvoyantes (inclus dans le billet d'entrée). Visites guidées avec guide-conférencier. Espace boutique http://www.albertville.fr
  • Chaque trimestre, le musée propose un éclairage particulier sur une pièce des collections sortie des réserves.

  • Remerciements à Evelyne Estades, du service Urbanisme de la ville d'Albertville, pour son aide précieuse et sa disponibilité.

 







 



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