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Roman d'une Garde-Robe, au Musée Carnavalet
(Paris, France)
Heure locale

Mardi 19 novembre 2013

 

Pour les nostalgiques de la Belle époque, le musée Carnavalet (Paris) propose actuellement une exposition sur la garde-robe d'Alice Alleaume, première vendeuse chez Chéruit (Maison de haute couture) de 1912 à 1923. Cette collection est présentée pour la première fois au public et permet au visiteur de découvrir les robes griffées Chéruit, mais aussi des robes Worth & Lanvin, des chaussures de soirée de la maison Hellstern, des chapeaux d'Alphonsine, Marcelle Demay, Madeleine Panizon, Le Monnier, des bandeaux du soir de Rose Descat, des bijoux...

Alice Alleaume était ce qu'on peut appeler une parisienne à la mode : Ses goûts, sa vie professionnelle, l'influence de sa vie familiale (sa famille fut étroitement liée au Second Empire) mais aussi la Maison Chéruit et la Place Vendôme rythment le parcours de cette exposition, où l'on peut voir manuscrits et documents, carnets de vente et listes de clientes. Alice n'est pas la seule femme présente : il y a aussi Adèle, sa mère « couturière en robes » et Hortense, sa sœur ainée (première vendeuse chez Worth, rue de la Paix). Ainsi défilent sous nos yeux les collections été et hiver de la Maison Chéruit grâce au patient travail de conservation des Archives de Paris qui ressortent pour l'occasion modèles et échantillons. Le musée Carnavalet a quant à lui puisé dans ses trésors et nous offre peintures et estampes de la rue de la Paix à cette époque heureuse. On y voit aussi la Place Vendôme, et ses temples de luxe avant la guerre 14-18.


 

Cette collection est composée de centaines de pièces (robes et accessoires). Elle a récemment été acquise par le Palais Galliera (entre 2008 et 2010), le musée de la Mode de la Ville de Paris. Une visite à ce musée est passionnante car elle permet de couvrir plus d'un siècle de mode, depuis les années 1830 jusqu'aux années trente. Plusieurs pièces exposées furent portées par Adèle, la mère d'Alice et par sa sœur ainée, Hortense Dumas-Baudron.

Les articles présentés au public sont très bien documentés avec des photos et des manuscrits conservés dans les archives familiales, documents qui apportent un précieux éclairage sur le parcours professionnel d’Adèle, Hortense et Alice, mais également sur leur choix vestimentaires et leurs goûts.

On découvre ainsi le milieu de la haute couture en parcourant ce qui est le « roman d'une garde-robe » (titre de l'exposition), l'histoire d'une famille, d'une Parisienne, d'une vendeuse et d'une maison de couture.

Je pénètre dans l'enceinte de l'exposition et suis immédiatement saisi par ce monde mythique qui a fait depuis longtemps de Paris la capitale de la mode : 400 pièces exceptionnelles, robes et accessoires, échantillons textiles, peintures, estampes et photos, manuscrits et albums, tout droit venus du Palais Galliera, du musée Carnavalet, des Archives de Paris et des archives familiales, me tendent les bras.

 

Je découvre le parcours professionnel d'Alice Alleaume, alors première vendeuse chez Chéruit, à travers les quatre principales étapes de sa vie : La première section présente les années d'apprentissage et l'influence familiale qui la conduisirent vers le monde de la haute couture. On y découvre des vêtements jadis portés par Alice et les autres femmes de la famille. Fille d'Adèle Dumas (elle-même couturière en robe), Alice Alleaume est très tôt immergée dans le monde de la mode parisienne. Sa sœur Hortense, vendeuse chez Worth, renforcera ce lien avec le milieu de la haute couture. Chez Worth, Hortense côtoie Paul Poiret, de 1901 à 1903. Le jeune couturier propose alors un manteau kimono, à larges manches et parements brodés, modèle très novateur, et baptisé « Révérend » en 1905. Alice admire sa sœur, avant d'entrer à son tour dans ce milieu. Elle séjourne à Londres durant quelques mois en 1902 (d'anciens cahiers d'exercices d'anglais permettent d'attester de son apprentissage de la langue), et forge son expérience dans plusieurs maisons parisiennes : Morin-Blossier en 1904, Laferrière en 1905-1906, Doucet, puis Diemert en 1906. Elle manifeste déjà à cette époque d'évidentes qualités de vendeuse auprès d'une clientèle britannique fortunée. Elle travaille bientôt chez Favre (de 1908 à 1911) avant d'entrer définitivement chez Chéruit l'année de son mariage. Alice est cliente des plus grandes modistes de Paris : Alphonsine et Marcelle Demay (même si plusieurs chapeaux non griffés proviennent aussi d'autres maisons réputées).

 

La seconde section évoque le milieu parisien de la mode dans le quartier de la célèbre place Vendôme et de la rue de la Paix. Cette dernière est la voie sacrée de la mode et concentre un grand nombre de maisons de haute couture depuis l'installation, en 1857, de Charles-Frédérick Worth, fondateur de cette haute couture, au N°7 de la rue de la Paix. Le quartier jouit déjà d'une excellente réputation avant la première guerre mondiale. On y trouve les maisons Paquin, Doucet, Doeuillet et Chéruit qui occupent le premier rang. Une peinture de Jean Béraud, »La sortie des ouvrières de la maison Paquin, rue de la Paix », œuvre de 1902, illustre la vie du quartier (ci-dessous). Il faut cependant distinguer le vrai du...faux chic ! La caricaturiste Sem y consacra d'ailleurs un album en 1914, fustigeant ainsi avec humour les couturiers détenteurs du faux chic qu'il oppose à ces grandes maisons. Le Figaro fit aussi un reportage, en 1910, sur cet univers foisonnant : Les photos permettent au spectateur de pénétrer dans les luxueux salons de vente de ces grandes maisons où s'affairent vendeuses, essayeuses et mannequins, au service d'une clientèle aisée. Pendant ce temps, sous les toits et au fond des cours, des centaines de couturières (appelées aussi midinettes) font le « point » dans les ateliers. Dans les années 20, le succès de la maison Worth reste intact. Celle-ci est désormais dirigée par les fils du fondateur. La beauté en particulier de deux robes autrefois portées par la Princess Murat vers 1925 le démontre. Leur tissu fut dessiné par le célèbre laqueur Jean Dunand (Hortense Dumas en conserva deux échantillons).


 

La troisième partie de l'exposition est consacrée à la carrière d'Alice Alleaume au sein de la maison Chéruit. C'est Madeleine Chéruit qui fonda cette maison, à la clientèle choisie et aux ateliers de broderie inventifs. Elle fera ses débuts au sein de la maison des sœurs Raudnitz, maison qu'elle rachètera fin 1898 avec Marie Huet pour constituer la société Huet & Chéruit. En 1900, elle remporte un Grand Prix à l'Exposition Universelle puis s'installe au N°21 de la place Vendôme. La maison de couture, qui est dirigée avec talent, crée en 1907 un département fourrures, suivi d'un rayon pour enfants et jeunes filles, puis d'un rayon lingerie, et robes de mariées.. Dès 1912, sa renommée conduit Madeleine Chéruit à participer chaque mois à « La Gazette du bon ton » (ci-dessous), aux côtés des maisons Doeuillet, Doucet, Paquin, Poiret, Redfern et Worth. Notre fondatrice se retire toutefois fin 1914, laissant sa place à Mesdames Boulanger et Wormser pour la cogérance, jusqu'en 1923. Notons enfin que dès 1915, la maison Chéruit participera également à la « Fête parisienne » à New York, aux côtés d'autres maisons, afin de promouvoir la haute couture française sur le marché américain. En 1923, Madame Boulanger décide de fonder sa propre maison. Madame Wormser, elle, poursuivra son activité au sein de la maison Chéruit jusqu'en 1933, date de la fermeture de l'enseigne. Chez les grands couturiers, on fait alors du sur-mesure et l'on s'adapte complètement aux désirs des clientes. Ces dernières exigent tel ou tel modèle, telle ou telle coupe, réclame tel ou tel tissu dans des coloris choisis par elles. Elles choisissent aussi parfois leurs robes sur croquis et sont assistées par les vendeuses et les essayeuses qui s'activent dans les salons. Alice Alleaume a le rang de première vendeuse et, à ce titre, côtoie une riche clientèle française et étrangère (Etats-Unis, Amérique du Sud, Russie, Angleterre, Espagne, Italie, Roumanie...) qui vient renouveler sa garde-robe à chaque collection et descend dans les plus grands palaces parisiens (Ritz, Carlton, Meurice, Westminster...). Alice maitrise parfaitement la langue anglaise qu'elle a acquise lors de son séjour londonien en 1902. Durant sa carrière, elle s'occupera de 600 clientes, parmi lesquelles la reine Victoria-Eugénie d'Espagne, l'infante Béatrice d'Espagne, la reine Marie de Roumanie et la princesse Elizabeth de Roumanie, la duchesse d'Arion ou bien la duchesse de Gramont...Elle travaillera aussi avec des revendeurs, américains et européens, auxquels on expédie en express de nombreuses commandes. Alice prodigue des conseils avisés et certaines clientes lui seront très fidèles. Elle note dans ses carnets, jour après jour, les détails de ses ventes, les retouches à effectuer, parfois même des mensurations, et son répertoire d'adresses. Ces carnets témoignent aujourd'hui de ce que fut le quotidien d'une vendeuse de haute couture à cette époque : on y trouve parfois des observations prises sur le vif concernant des clientes de passage, ou bien les coulisses de la maison Chéruit. L'exposition offre aux visiteurs une douzaine de modèles de la vénérable maison de couture, sur une période allant du début du XXè siècle jusqu'au milieu des années 20. Plusieurs de ces modèles proviennent de la garde-robe d'Alice Alleaume. La maison Chéruit propose à l'époque deux collections par an, en été et en hiver. Au début des années 20, les collections comptent en moyenne 240 modèles pour adulte auxquels s'ajoutent les modèles pour enfant. Les magazines de mode lui assurent pour leur part une publicité constante. Chaque modèle créé est protégé auprès du conseil des prud'hommes de la Seine. Il est par ailleurs intéressant de se pencher sur la garde-robe d'Alice : Dans les années 20, celle-ci adopte le maillot de bain en jersey qui permet une grande liberté de mouvement. Puis, elle porte le pyjama, de plage ou d'intérieur,. Alice est cliente de la maison Hellstern, voisine de Chéruit, et des grandes modistes Madeleine Panizon, Rose Descat, et Etiennette. Elle possède un chapeau de Lucia Mary en velours abricot agrémenté d'un motif géométrique en cuir qui relève de l'esthétique Art déco. Pour le soir, notre première vendeuse choisit une coiffure scintillante de perles et de pampilles, avec un bandeau brodé ou une perruque en lamé argent, accompagné d'un petit sac brodé de perles, en forme de fleur, griffé Jeanne Lanvin. Alice ne porte que rarement la même tenue et ne se départit jamais de son élégance. La garde-robe de sa fille résonne en écho à la sienne (dernière photo ci-dessous)


 

Le parcours se termine par les années trente et la grande sûreté de goût et l'originalité de cette dame parisienne incarnant alors le chic de la capitale. Cela fait quelques années qu'Alice a quitté le milieu professionnel de la mode. Et adopte les longues robes des années trente à la taille complexe. Sa garde-robe très diversifiée est complétée par des accessoires conçus par Cécile Marguerite ou la maison Le Monnier, une des plus célèbres modistes de l'époque. Ses bijoux fantaisie sont souvent d'inspiration Art déco (ci-dessous). Alice fréquente aussi la maison Lanvin, la plus ancienne des maisons de couture encore existante de nos jours. On peut admirer plusieurs modèles de robes de soirée de cette maison lors de l'exposition. Dans le cadre de l'Exposition internationale des arts et techniques de 1937, Alice est invitée à la Comédie des Champs Elysées et au Théâtre des Capucines. La visite des lieux s'achève par quelques costumes témoignant du goût fréquent à l'époque pour le travestissement et par l'évocation de la fête de sainte Catherine, célébrée le 25 novembre de chaque année par le milieu de la mode. On admire au passage une collection exceptionnelle de fleurs artificielles employées en garniture.


 

 

INFOS PRATIQUES


  • Exposition « Le Roman d'une Garde-robe », jusqu'au 16 mars 2014, au musée Carnavalet , 23 rue de Sévigné à Paris (3è). Tel : 01 44 59 58 58. Ouvert tous les jours de 10h00 à 18h00, excepté le lundi et jours fériés. Accès H (un agent d'accueil assiste les personnes à mobilité réduite). Accès : Métro Saint Paul ou Chemin Vert. Prise de photos interdite.

  • Conférence « A la redécouverte de la prestigieuse maison de couture Chéruit, 21, Place Vendôme », le jeudi 9 janvier 2014 à 12h30 (durée : 1h00)

  • Visites-conférences dans cette exposition : Entrée payante, sans réservation, dans la limite des places disponibles, les jeudis et samedis à 14h00. Durée:1h30. Tarif:4,50€ (plein tarif)

  • Concert les jeudis 16 février 2014 et 13 mars 2014 à 12h30 par les élèves du Conservatoire à Rayonnement Régional de la Ville de Paris.

  • Visites-promenades, pour les groupes, sur réservation : La voie sacrée de la mode, le quartier de la Place Vendôme et Mode et design dans le quartier de la Goutte d'Or . Détails des tarifs sur le site internet du musée http://www.carnavalet.paris.fr/fr/musee-carnavalet

  • Merci à André Arden (Service Presse) pour sa précieuse collaboration.

 




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