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Exposition "Objectif Vietnam"
(Musée Cernuschi, Paris, France)
Heure locale


Jeudi 14 mars 2014

Ce mois de mars voit l'apparition d'une nouvelle exposition, Objectif Vietnam, consacrée à des photographies de l'école française d'Extrême-Orient. Cette exposition fait suite à celle qui se tint au musée Cernuschi il y a deux ans et traitait de la présence des peintres français au Vietnam. Fidèle à sa démarche, le musée Cernuschi poursuit son regard sur les liens culturels qui unirent notre pays au Vietnam au cours du siècle dernier, en nous dévoilant cette fois, une partie de l'oeuvre accomplie par l'EFEO (école française d'Extrême-orient), célèbre institution orientaliste, au travers de sa collection de photographies qui nous invite à découvrir ce superbe pays. Ils furent nombreux ces archéologues, savants et explorateurs à pressentir la richesse archéologique de cette civilisation ancienne. Et d'étudier les us et coutumes des populations vietnamiennes, de décrypter les inscriptions du passé pour enfin ouvrir les premiers musées. Ces découvreurs ramenèrent avec eux aquarelles et photographies. Certains tirages présentent des sites archéologiques, des édifices aujourd'hui disparus, la construction des musées à Danang et Hanoi, des pagodes du nord Viêt Nam ou bien la dernière cérémonie rendue au ciel, le Nam Giao, par l'empereur Bao Dai (ci-dessous). Des aquarelles, estampages originaux et journaux de fouilles complètent l'ensemble.


 

Etablissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel français, l'EFEO fut fondée à Saïgon le 15 décembre 1898 et est spécialisée dans l'étude des civilisations asiatiques à travers des études de terrain, pluridisciplinaires et comparatistes, associant à la fois l'histoire, la philologie, l'ethnographie, l'archéologie et les sciences religieuses. Ses enseignants-chercheurs sont compétents dans l'étude des textes et de l'histoire de l'art, mais également en archéologie, histoire de l'architecture et conservation monumentale. L'anthropologie religieuse et politique et l'histoire moderne et contemporaine font aussi partie de leur domaine. Présente dans 18 pays dans le monde (dont douze en Asie), l'EFEO établit ses racines au Vietnam grâce à la mission archéologique permanente en Indochine. Et reçut pour mission de « travailler à l'exploration archéologique et philologique de la presqu'île indochinoise, de favoriser par tous les moyens la connaissance de son histoire, de ses monuments, de ses idiomes, de contribuer à l'étude érudite des régions et des civilisations voisines ».

L'EFEO sera transférée en 1902 à Hanoï, devenue la nouvelle capitale de l'Indochine française , où l'on pouvait alors rencontrer des marchandes d'images populaires (en photo ci-dessous). Elle y restera cinquante années. Sa mission s'étendra certes à l'ensemble de la péninsule indochinoise mais l'école se concentrera principalement sur le Vietnam, et l'étroite collaboration entre lettrés vietnamiens et correspondants érudits donneront lieu à de nombreuses publications dans les domaines de l'histoire, de l'archéologie, de l’histoire de l'art, de l'ethnographie, de la linguistique et de la philologie. L'école contribuera ainsi à la conservation du patrimoine artistique et archéologique vietnamien par ses travaux de recherche et d'inventaire, mais aussi par la création et la direction de plusieurs musées. Une riche bibliothèque rassemblera enfin les nombreux documents manuscrits et imprimés. Elle quittera toutefois le pays en 1961 après avoir remis son patrimoine aux autorités vietnamiennes. Mais deux ans plus tard, à l'invitation de la République démocratique du Vietnam, elle ouvrira les portes d'un centre de recherches à Hanoï. Une délégation est aussi inaugurée dans le sud du Vietnam, à Ho Chi Minh-Ville en 2013.


 

Dès sa création, l'EFEO se dota d'une bibliothèque et d'une photothèque. Entre 1933 et 1959, elle s’adjoignit les services d'un photographe professionnel, Jean Manikus, secondé par Nguyen Huu Tho. Fils d'un chef d'orchestre hollandais, Jean Manikus est engagé en 1923 comme opérateur de prises de vue, puis devient directeur production de la Société Indochine Films et Cinéma à Hanoi. Recruté par l'EFEO en 1932, il en devient trois ans plus tard le chef du service photographique. Et de fonder bientôt, avec Nguyen Huu Tho, la photothèque. Il quittera l'école en 1961, et laissera derrière lui une collection de 50000 clichés irremplaçables. Lorsque l'EFEO quittera Hanoi sous la pression politique, elle enverra une copie de son fonds photographique à Paris, lieu définitif de son siège à partir de 1961. C'est ainsi que fut créée la photothèque parisienne, laquelle comporte aujourd'hui plus de 180 000 clichés de natures différentes (plaques de verre au gélatino-bromure d'argent, le plus souvent stéréoscopiques, négatifs, diapositives, tirages argentiques, clichés numériques). Les thèmes de ces photographies abordent l'histoire de l'art, l'archéologie, l'architecture, l'épigraphie, l'ethnographie...Le fonds sera bientôt enrichi d'images LIDAR (technologie de topographie laser aéroportée) très révélatrices dans le domaine de l'archéologie.

Sur place, les chercheurs photographes ressentirent très vite le besoin de compléter leurs notes et leurs relevés par des photographies qui s'avéreront d'un intérêt scientifique majeur et seront, dans certains cas, les derniers témoins uniques d'un passé disparu. Outre Jean Manikus, on trouve parmi eux Louis Bezacier, architecte et archéologue, qui devint membre de l'EFEO en 1935. Nommé conservateur des monuments du nord Vietnam, il entreprendra les travaux de restauration de la pagode Ninh Phuc, à But Thap et mettra au point sa technique de consolidation des structures en bois qu'il appliquera avec succès sur de nombreux édifices. On retiendra aussi le nom de Louis Finot, épigraphiste de formation, et directeur de la Mission archéologique permanente en Indochine en 1898 et à plusieurs reprises jusqu'en 1929. Il poursuivra des travaux sur l'épigraphie khmère avant d'enseigner l'histoire et la philologie indochinoise à l'école pratique des hautes études et au Collège de France. Henri Marchal occupera quant à lui plusieurs postes de conservateur à Angkor et à Phnom Penh. Il étudiera les sites archéologiques du Vietnam. René Mercier avait pour sa part deux options : devenir graveur de monnaies en Inde ou devenir professeur de ciselure à l'Ecole des arts appliqués de Hanoi. C'est cette dernière option qu'il choisira. Il sera ensuite recruté par l'Ecole française d'Extrême-Orient, puis assurera des cours de ciselure à l'Ecole des beaux-arts de Hanoi. Henri Parmentier rejoindra l'EFEO en 1900 et se consacrera jusqu'en 1904 à l'étude et à la sauvegarde des monuments vietnamiens. Nommé chef du service archéologique de l'EFEO, il consacrera la majeure partie de ses travaux à l'art khmer. Il assurera aussi à deux reprises l'intérim de la direction de l'école. Enfin, Noël Peri, jeune prêtre, sera envoyé par les Missions étrangères en 1888 au Japon, plus exactement à Matsumoto. Installé plus tard à Tokyo, il créera des revues philosophiques, peu appréciées par les Missions étrangères qu'il fera le choix de quitter. Il entrera à l'EFEO en 1907, à Hanoi, en tant que secrétaire bibliothécaire, poste qu'il occupera jusqu'à sa mort accidentelle en 1922.

 

Héritière de la Mission archéologique permanente de l'Indochine, l'EFEO sera chargée de gérer le patrimoine archéologique. Cette mission comprenait la découverte, le classement, la conservation et la restauration des monuments, ainsi que l'inventaire descriptif. Ces recherches de l'EFEO furent surtout menées, au début du XX è siècle, aux sites chams du Centre Vietnam. On restaura ainsi les tours de brique et d'autres sites qui furent ensuite ouverts au public. Les pièces découvertes lors de ces restaurations rejoignirent les musées, notamment celui de Tourane (Da Nang), créé pour l'occasion. 1920 fut l'année de la création du service archéologique de l'école et donna le coup d'envoi à l'établissement d'une véritable mission d'inventaire et à un classement au patrimoine des monuments et sites remarquables, dans tout le Vietnam. On s'intéressa ensuite aux pagodes et aux maisons communales du delta, notamment à celles de la province de Bac Ninh. C'est là que Louis Bezacier, alors conservateur des bâtiments du Tonkin en 1935, entreprit des restaurations systématiques et mit en œuvre sa technique de préservation des structures en bois, rendant possible le démontage et le remplacement de certaines pièces tout en conservant les motifs sculptés.

 

Dès sa création, l'EFEO reçut pour mission de créer des musées. Jusqu'en 1961, date de son départ du Vietnam, l'école construira huit musées dans la région, dont cinq au Vietnam. Le grand musée indochinois fut érigé à Hanoi plutôt qu'à Saigon, car cette ville était entre temps devenue la capitale administrative de l'Indochine française. Au départ, on regroupa les sculptures et inscriptions chames accumulées lors des campagnes de fouilles. Puis, une exposition se tint à Hanoi, en 1902, qui préfigura le musée qui sera construit six ans plus tard, sur l'emplacement de l'ancien hôtel du gouverneur général. Mais cette première construction deviendra rapidement trop petite face à l'accroissement des collections, et un nouveau bâtiment , dont la construction s'acheva en 1932, s'avérera nécessaire : le musée Louis Finot était né, et reste encore aujourd'hui le musée d'Histoire du Vietnam le plus important créé par l'EFEO. On notera également la création du musée cham, en 1916, rebaptisé plus tard musée Henri Parmentier, puis musée de la Sculpture chame de Da Nang (son nom actuel). Le musée Khai-Djnh, en 1923, dans l'enceinte royale de Hué (aujourd'hui devenu le musée conservatoire de Hué). Le musée Blanchard de la Brosse, en 1929 (aujourd'hui le musée d'Histoire de Ho Chi Minh-Ville). Le musée archéologique de Thanh Hoa, consacrés aux trouvailles de l'âge du bronze. Et le musée de l'homme, qui ne sera qu'ébauché par l'EFEO, et sera réalisé par les Vietnamiens eux-mêmes.


 

Une autre mission de l'EFEO : l'estampage (ci-dessus en photo) des inscriptions, qui a pour but d'obtenir une copie de textes gravés dans la pierre, repose sur une technique ancienne, laborieuse et artisanale que les progrès techniques n'ont pas fait disparaître. Et est pratiqué partout en Asie : on plaque ainsi sur la stèle une feuille d'un papier local produit à partir d'une variété de Daphné (arbrisseau à feuilles persistantes et à fleurs roses ou blanches) mêlée à du murier, et ce, à l'aide d'une substance végétale visqueuse (jus de banane). L'estampeur passe ensuite une couche d'encre le long du texte, lentement, autrefois avec un pochoir et désormais avec un rouleau à peindre. La feuille de papier adhère si bien à la stèle qu'elle en épouse toutes les irrégularités parmi lesquelles, les écritures gravées. Se révèlent peu à peu, en blanc sur fond noir , les caractères chinois, sino-vietnamiens, voire, les motifs ornementaux entourant l'inscription. 22 000 estampages furent réalisés par l'Ecole française d'Extrême-Orient entre 1910 et la fin des années 40. On retrouve des techniques similaires dans l'imagerie populaire vietnamienne, sauf que, dans ce cas, l’impression sur papier d'une planche en bois dont les figures sont gravées en relief, ne constitue pas la copie d'un précieux original, mais, au moins partiellement, l'original lui-même. Les imagistes utilisaient aussi le même type de papier que celui qui servait et sert encore aux estampages, mais le recouvraient parfois d'une couche d'apprêt, puis décalquaient les motifs gravés sur la planche en posant sur celle-ci, badigeonnée d'encre, la feuille où s'imprimaient les contours du sujet. Le lissage était fait à la main ou avec une brosse. Et l'on ajoutait parfois des motifs supplémentaires grâce à des petits tampons, avant de colorier les dessins, de jouer sur les teintes et les épaisseurs. La collection de 400 pièces réunies par Maurice Durand est la seule collection d'images populaires qu'il nous reste, et nous offre de voir de pures merveilles. L'imagerie vietnamienne montre ainsi des scènes de la vie quotidienne, du labeur paysan, des évocations religieuses, historiques et littéraires, ou bien des motifs isolés comme des animaux, des plantes, des fleurs. On lit sur les affiches des donations pieuses, des règlements coutumiers, des constructions de bâtiments, de conflits entre villages, de jugements individuels, de questions d'héritage, d'impôts, d'argent...


 

Toutes ces collectes de manuscrits, ces fouilles archéologiques, ces observations ethnographiques, mais aussi les enquêtes linguistiques et philologiques, l'analyse des structures politiques et sociales permirent d'analyser la société vietnamienne. Le Vietnam est un pays qui s'étire sur plus de 2000 kilomètres le long du flanc oriental de la péninsule indochinoise, entre chaines montagneuses, plaines et littoraux, formant ainsi un véritable trait d'union entre l'Asie du sud-est et l'Asie orientale. Il s'y passe un foisonnement de contacts et d'échanges qui nourrit le pays des siècles durant, d'où se dégage trois grandes aires culturelles qui ont imprégné les sociétés locales : le monde indien (avec le rayonnement du royaume du Champa aujourd'hui disparu), le monde malais (bien présent dans la culture méridionale, même si diffus) et le monde chinois (dont la culture lettrée et le modèle politico-administratif ont façonné durablement la construction de l'empire du Dai Viet).

Plus de cinquante groupes ethniques appartenant à cinq familles linguistiques sont présentes de façon inégale du nord au sud du Vietnam. Cet ensemble de 90 millions d'âmes est le produit d'une histoire millénaire faite de conquêtes et de résistances, de contacts, de migrations et de métissages. Le perfectionnement et la diffusion des techniques de la riziculture irriguée, mais aussi la maitrise de l'eau, aidèrent à l'émergence d'une économie paysanne de subsistance et d'une société rurale organisée en villages compacts entourés par des haies de bambous. Le maillage de ces villages et le poids des lignages façonnèrent et pérennisèrent une organisation collective structurée en une myriade d'unités familiales et vicinales emboitées et interdépendantes. C'est au sein de ces unités-là que se construisirent une culture populaire avec ses rites agraires, ses festivités villageoises (qui assurent la cohésion entre générations) et ses célébrations de nombreuses divinités tutélaires. Ce substrat villageois servit de base à un univers mental et moral ancré à une solide trame animiste, mêlée de piété bouddhiste et de principes confucianistes. Un univers également animé d'une fidélité sans faille envers les ancêtres vénérés tout au long de l'année.

Le centre du village accueille la maison commune (dinh) à la fois lieu de culte et espace de dialogue et de confrontation, où se réunissent les détenteurs du pouvoir local et la hiérarchie villageoise. La société vietnamienne est aussi une civilisation du végétal, qui a su adapter la riziculture irriguée à de nouvelles conditions naturelles. Elle est aussi la civilisation de l'écrit avec par exemple ces concours triennaux et des lettrés qui forment un corps mandarinal hiérarchisé en neuf degrés, au sommet duquel se trouve l'empereur, seul détenteur du mandat céleste. Ce mandat céleste est réaffirmé tous les trois ans et confère à l'empereur la légitimité de commander à ses semblables. Il donne lieu à la cérémonie du Nam Giao (en photo ci-dessus) culte rendu au ciel au cours duquel le souverain se présente comme le mandataire du peuple à qui il doit en retour une protection bienveillante. Elle est également une civilisation de poètes qui forgèrent des épopées en chinois classique et en langue populaire. Elle est enfin une littérature populaire faite de dictons et de contes qui alimentent un imaginaire partagé et dévoilent les différentes facettes de l'esthétique vietnamienne. Inscriptions sur stèles, sentences parallèles des temples et pagodes, et manuscrits précieux font partie intégrante du patrimoine national.

 

INFOS PRATIQUES :


  • Exposition « Objectif Vietnam », photographies de l'Ecole française d'Extrême-Orient, jusqu'au 29 juin 2014, au musée Cernuschi, 7 avenue Vélasquez, à Paris (8è). Tel : 01 53 96 21 50. Ouvert du mardi au dimanche, de 10h00 à 18h00. Expositions temporaires payantes (gratuites pour les handicapés et leurs accompagnateurs). Accès H. Métro : Villiers, Monceau. Entrée: 8€ Site internet : http://www.cernuschi.paris.fr/fr/expositions/en-cours

  • Merci à Maryvonne Deleau (service Presse) pour son aide.

     

  • EFEO (Ecole française d’Extrême -Orient) 22, avenue du Président Wilson, à Paris (16è). Tel : 01 53 70 18 60. Site internet : http://www.efeo.fr/









 



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