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Hôtel de Lauzun
(Paris, France)
Heure locale


Samedi 2 mai 2015

 

Visiter un lieu accompagné d'un guide-conférencier est une idée qui ne m'était encore jamais venue. C'est pourtant bien pratique et fort agréable d'être pris en charge et de bénéficier d'une visite guidée agrémentée bien souvent d'anecdotes. Trop occupé à la prise des photos, je ne profiterai cependant que partiellement du commentaire. Pour ma première expérience, je décide de découvrir l'hôtel de Lauzun, une de ces magnifiques propriétés de la Mairie de Paris. Celui-ci se trouve sur la rive nord de l'île Saint-Louis, au 17, Quai d'Anjou, à Paris (4è). Le XVII ème siècle verra une période intensive de construction d'une trentaine d'années sur cette île. Jusque là, il existait plusieurs ilots appartenant au chapitre de Notre-Dame. Au début du XVIIè, l'entrepreneur Christophe Marie avait avancé l'idée de relier entre eux tous ces ilots et les travaux débutèrent en 1630 sur l'île Saint-Louis. L'ilot était alors un champ où paissaient les vaches. Le terrain avait été concédé à trois spéculateurs (dont Christophe Marie) qui purent ainsi lotir l'endroit à condition de mettre en valeur l'ensemble (surélévation du terrain pour éviter les inondation, construction de quais et d'une route...) L'espace était rare et le prix du terrain élevé, ce qui attira une clientèle de la noblesse de robe ou de la haute bourgeoisie. Des hôtels s'élevèrent donc en hauteur, renonçant ainsi au plan traditionnel entre cour et jardin qui fera la fortune du quartier du Marais. En effet, seuls deux hôtels, situés aux extrémités de l'île posséderont des jardins allant jusqu'à la Seine. Ces hôtels ont depuis été détruits. Les plus beaux hôtels particuliers de l'île Saint-Louis s'élèvent le long des quais du fleuve, notamment sur la rive nord (quais de Bourbon et d'Anjou). Outre l'hôtel Lambert, le plus somptueux est l'hôtel de Lauzun que nous allons visiter aujourd'hui.

L'hôtel de Lauzun sera érigé entre 1650 et 1658 par l'architecte français Louis Le Vau, pour le financier Charles Gruyn. Contemporain de Mansart et de Jacques Lemercier, Louis Le Vau fut l'un des créateurs du classicisme français qu'il mariera élégamment avec le style baroque. Simplicité des constructions et élégance des décorations sont alors de rigueur avec cet architecte dont l'oeuvre la plus célèbre reste le château de Vaux-le-Vicomte. Issu d'un milieu social modeste, notre homme se forgera une expérience auprès des grands entrepreneurs, sur les chantiers et à la lecture des traités techniques et d'architecture. Il devra beaucoup à Michel Villedo, entrepreneur, qui lui confiera ses premiers chantiers d'envergure avec, par exemple, celui de l'hôtel de Guillaume de Bautru (1634) ou celui de l'hôtel de François Petit (1638), rue de Turenne. Louis Le Vau obtiendra bientôt la reconnaissance qui lui permettra d'ériger plusieurs hôtels particuliers dans l'île Saint-Louis, de 1640 et 1650, dont celui que je visite aujourd'hui. L'ultime récompense interviendra en 1654, lorsqu'il est nommé architecte principal du roi Louis XIV. Deux ans plus tard, Nicolas Fouquet lui commande la construction du château de Vaux-le Vicomte. 1660 verra l'achèvement du château de Vincennes avec les pavillons du Roi et de la Reine, l'hôpital de la Salpetrière, avant de travailler la façade des Tuileries puis de reconstruire la Galerie d'Apollon au Louvre.


 

L'intérieur de l'hôtel de Lauzun est superbement décoré. On doit ses peintures à Sébastien Bourdon, Charles Le Brun, Eustache Le Sueur et Pierre Patel. Le premier luttera d'abord contre la misère avant de produire, dès l'âge de 20 ans, des chefs-d'oeuvre d'une rare sensibilité. Il deviendra l'un des douze membres fondateurs de l'Académie royale de peinture et de sculpture en 1648. Premier peintre de Louis XIV, Charles Le Brun dirigera la Manufacture des Gobelins et s'illustrera notamment dans la décoration du château de Versailles et de la Galerie des Glaces. Eustache Le Sueur, lui, sera surnommé le « Raphaël français », et sera considéré comme l'un des fondateurs de la peinture française classique. Le peintre travaillera, au cours des années 1640-50, pour la riche clientèle parisienne privée en décorant plusieurs hôtels particuliers dont celui de Lauzun. Les sujets abordés proviennent souvent du grand genre, ou de la peinture historique, qu'elle soit antique ou biblique. Enfin, Pierre Patel sera reconnu comme l'un des paysagistes les plus doués de sa génération. Fils d'un peintre de ruines réputé, il développera également des peintures de ruines aux coloris pastels et aux traits lisibles, peintures destinées à la décoration. Ses œuvres du « Cabinet de l'Amour », acquises par Louis XVI, sont désormais exposées au Louvre.


 

L'hôtel de Lauzun sera acheté et habité en 1682 par le Duc de Lauzun. Originellement connu sous le nom d'Antonin Nompar de Caumont, celui-ci deviendra rapidement le favori de Louis XIV à cause de sa liberté d'esprit et de son insolence. Il deviendra ensuite gouverneur du Berry, maréchal de camp et colonel général des dragons. Faisant partie de la cour galante (courtisans qui vivaient auprès du roi), il souffrira bientôt des mauvaises langues qui lui attribueront une liaison avec sa cousine Catherine Charlotte de Gramont. La suite sera scabreuse : trahi par Madame de Montespan, le duc insultera cette dernière puis brisera son épée devant le roi, ce qui lui vaudra d'être embastillé quelques jours. Il retrouvera toutefois à son retour les faveurs du roi, lequel, pas rancunier, le nommera capitaine de la première compagnie des gardes du corps du roi, avant de commander plus tard l'armée qui conduira Louis XIV en Flandre. Séducteur invétéré, notre homme accumulera aussi les conquêtes féminines. Mademoiselle de Montpensier le demandera même en mariage. Mais les jalousies dont il sera victime aboutiront à son arrestation en novembre 1671. Emprisonné à Pignerol, il fera la connaissance de Nicolas Fouquet, avant d'être libéré grâce aux bons offices de Mademoiselle de Montpensier, dix ans plus tard. Il sera nommé duc de Lauzun en 1692 et s'éteindra à 90 ans, le 10 novembre 1723.

Après le bref passage du duc de Lauzun, l'hôtel du même nom sera occupé par le marquis de Richelieu dès 1685. Celui-ci le revendra en 1709 à Pierre-François Ogier, Grand Audiencier de France et Receveur général du Clergé de France. La demeure sera ensuite reprise par le fils, Jean-François Ogier qui le revendra en 1764 à René-Louis de Froulay, marquis de Tessé. Cinq ans plus tard, l'hôtel de Lauzun passera aux mains de ses petits-enfants, les Saulx-Tavannes qui le cèderont en 1779 au marquis de Lavallée de Pimodan, qui l'occupera jusqu'à la Révolution.

 

D'autres personnages illustres occuperont l'endroit : l'écrivain Roger de Beauvoir (nom de plume du romancier, poète et dramaturge romantique français Eugène Augustin Nicolas Roger) y naitra en novembre 1806 avant d'y vivre un an durant. Son esprit, sa beauté et son genre de vie aventureux le rendront célèbre dans la capitale. Surnommé le « Musset brun », il sera un grand ami d'Alexandre Dumas père. Aisé, il mènera grand train en donnant de grandes fêtes dans les salons du premier étage de cet hôtel.

Plus tard, l'hôtel de Lauzun sera restauré par le bibliophile et collectionneur Jérôme Pichon qui louera certaines de ses salles à des créateurs comme Baudelaire ou Théophile Gautier. C'est dans cet hôtel qu'eurent lieu les fameuses séances du Club des Hashischins (étude et expérience de drogues comme le haschisch). Baron de son état, notre homme sera l'un des collectionneurs français les plus importants du XIXè siècle. La construction ayant entre temps subi des dégradations, Jérôme Pichon restaurera l'ensemble avant d'y abriter ses collections d'oeuvres d'art. C'est à ce moment-là que l'hôtel prendra le nom d'Hôtel de Lauzun, car Jérôme Pichon était admiratif du duc du même nom.

Baudelaire occupera l'hôtel d'octobre 1843 à septembre 1845, plus exactement son dernier étage, dans un petit appartement donnant sur la cour. Il y recevra Madame Sabatier et y écrira son fameux poème L'invitation au voyage. Ses voisins dans l'immeuble seront son ami Théophile Gautier, cofondateur du Club des Hashischins, et le peintre Joseph Ferdinand Boissard de Boisdenier au domicile duquel avaient lieu les séances mensuelles du club. Le rez-de-chaussée était quant à lui occupé par le brocanteur Arondel auprès duquel Baudelaire s'endettera lourdement.

 

Il faudra attendre 1906 pour que l'hôtel de Lauzun soit classé au titre des monuments historiques, puis 1928 pour que la Ville de Paris en devienne propriétaire, pour la somme de quatre millions de francs. L'hôtel abrite depuis 2013 l'Institut d'études avancées de Paris, institut de recherches qui accueille en résidence des chercheurs internationaux en sciences humaines et sociales (l'histoire ne dit pas si ces recherches ont lieu entre quelques séances de « fumette »).

Revenons quelques instants sur la façade extérieure de la bâtisse. Celle-ci s'inscrit dans l'alignement des bâtiments qui composent le Quai d'Anjou, et présente un élément tout particulièrement remarquable, un balcon ouvragé en fer-forgé (en photo ci-dessous). La cour intérieur comprend trois façades ainsi qu'un mur aveugle décoré malgré tout d'arcades. La cour, elle, est encore aujourd'hui pavée. On y peut d'ailleurs y apercevoir un superbe cadran solaire, entre deux fenêtres du deuxième étage. Celui-ci pouvait servir de calendrier mais le disque indispensable à son fonctionne fait défaut.


 

Une fois dans la cour, c'est par une porte en fer forgé que nous pénétrons à l'intérieur de l'hôtel, où se trouve l'escalier d'honneur. La visite se déroule au premier étage de l'immeuble et nous permettra de découvrir successivement une grande salle qui servit autrefois d'antichambre pour accueillir les visiteurs. Juste à côté, se trouve un cabinet d'étude décoré de lambris peints sculptés à la française. Le visiteur admire ainsi pêle-mêle peintures de grande qualité et plinthes décorées en faux marbre. Le plafond, remarquable, vaut également le coup d'oeil.

Nous empruntons ensuite l'escalier d'honneur pour atteindre un salon d'apparat orné de dorures et de miroirs. C'est ce salon qui nous ouvre l'accès à l'ancienne chambre de parade (ci-dessous en photo). Cette pièce formait la principale pièce de réception de l'hôtel. L'ensemble est un enchantement. La pièce suivante est la chambre à alcôve, agrémentée de son célèbre décor mural. On peut y voir des lambris avec basse-taille (et peinture en grisaille), mais aussi des paysages à la romaine. Là encore, le plafond est splendide. Nous passons ensuite dans le petit cabinet, décoré de lambris à la française avec leurs corniches débordantes, qui permettaient jadis de poser des petits objets décoratifs comme par exemple des porcelaines. Notre visite s'achève par le petit cabinet de l'Oriel et ses murs fleuris (deuxième photo)

 

 

INFOS PRATIQUES :


  • L'Hôtel de Lauzun, 17 Quai d'Anjou à Paris (4è), ne peut être visité que le samedi, et en groupe, accompagné de l'une des cent guides-conférenciers disponibles. Le prix du guide est variable mais tourne autour d'une dizaine d'euros, auquel il faut rajouter le droit d'entrée à l'hôtel, divisé par le nombre de participant (environ 7€ par personne pour un groupe de dix). Durée de la visite : une heure.

  • Interdiction de s'appuyer sur les murs et les boiseries afin de ne pas détériorer l'ensemble. Mieux vaut déposer son sac à dos en bas, à l'entrée. Prise de photos autorisée, sans flash.

  • Un livre « L'Hotel de Lauzun », en photo ci-dessous, est à la vente sur place (au prix de 29€) et raconte l'histoire de ce merveilleux hôtel particulier. Ecrit par Raymond Boulharès et Marc Soleranski, il est agrémenté de superbes photos.

  • Didier Bouchard, conférencier national. Tél : 01.43.07.09.69










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